Griffe da Morro de Cruz émergea dans les années 90 dans une période de dynamique locale de revalorisation et de développement social du Morro da Cruz. Le Morro da Cruz est une favela sur les hauteurs de Porto Alegre. Au fil des années, elle acquit une réputation de zone sensible et dangereuse. De l’extérieur, ce quartier était connu pour son climat de violence et ses trafics de drogues. Les médias ne manquant pas une occasion d’alimenter leurs chroniques de ces phénomènes de violence, ne laissaient transparaître qu’une seule image négative de ce quartier et ce, au risque même d’amplifier ce spectre de violence.
La vie n’y était effectivement pas facile : la peur de sortir de chez soi habitait beaucoup de personnes, pour trouver un emploi les distances étaient longues à parcourir et le manque de structures collectives ne permettait pas de construire un tissu social solidaire. Mais les habitants se mobilisèrent et surent utiliser l’outil démocratique mis en place par les citoyennes, citoyens depuis 1987. Par la voie du budget participatif, ils entrèrent dans un processus de conscientisation de leurs droits politiques et améliorèrent leurs conditions de vie en créant les infrastructures qui faisaient terriblement défaut et contribuant par là même à restaurer l’image au Morro da Cruz.
Le groupe Griffe du Morro da Cruz fut initié dans cette perspective de développement et de revalorisation sociale et politique du territoire. Une enquête effectuée sur le territoire concluant que les femmes représentaient la tranche de la population la plus touchée par la pauvreté et le chômage, les habitantes décidèrent de trouver des solutions ensemble. L’idée qui en résultat fut de « fournir un revenu et un travail aux femmes du quartier et au-delà améliorer leur qualité de vie et celle de leurs enfants. » L’accès à un travail et un revenu permettait aux familles de rester ancrer sur le territoire en y connaissant une vie plus digne.
La construction de ce groupe demanda beaucoup de temps et de longues discussions pour choisir son activité et créer un projet commun. Le nombre de participantes à cette réflexion collective oscilla entre 5 et 20 personnes avant que le groupe se stabilise à 8 personnes et trouve son identité. Ne voyant pas un retour financier rapide, certaines femmes se découragèrent…. D’autres eurent la volonté de continuer dans cette proposition d’organisation alternative de travail, « sans patron » ou toutes patronnes « et avec un souci d’organisation collective. »
De même, il était nécessaire de trouver un créneau pour ce produit novateur. Leur activité se base sur le recyclage de vêtements usagés. A partir de ces vieux vêtements ou morceaux de tissus elles confectionnent de nouveaux vêtements mais qui, parce qu’ils sont « raccommodés » et « rapiécés » sont empreints d’une connotation de pauvreté. Le défi était donc de trouver un public qui aime ce type de produit. Et lancer une nouvelle mode….
Parce qu’elles croyaient en la légitimité de leur action alors que d’autres criaient à la folie, elles identifièrent leur produit par des étiquettes portant leur nom : « Griffe du Morro da Cruz ». S’inscrivant dans une logique de rapiéçage du ’tissu’ social, et alors même que tout un chacun évitait de s’identifier à ce nom chargé d’un lourd passé, elles prirent comme griffe le nom même de leur favelas et lui redonnèrent du sens et de la valeur.
Aujourd’hui elles savent que leur acharnement a été bénéfique pour elles, leur famille et leur quartier. D’une part, elles ont réussi à construire une identité commune et un fonctionnement collectif aujourd’hui connu et reconnu comme une structure aux idées riches et innovantes. Plus globalement elles ont participé à ce processus de redynamisation locale que connaît le Morro da Cruz depuis les années 90.
D’autre part elles ont su créer des vêtements qui plaisent et aujourd’hui commencent même à développer des liens internationaux… Au-delà du simple fait de coudre et refaire vivre des vêtements, elles se sont trouvés un véritable passion pour cette activité créative.
Elles organisent leur production en fonction des saisons et des demandes. Récemment alors qu’elles se préparaient à une « période de vaches maigres » elles reçurent une commande pour réaliser toute la décoration d’un mariage. Ainsi toutes ces petites mains agiles s’activèrent pour confectionner des centaines et des centaines de "fouxicos" (fleurs en tissus), base de toute leur décoration (guirlande, rideaux, napperon, housses, porte dragées…)
Enfin une dernière victoire importante à leurs yeux réside dans le fait qu’elles ont su partager leur passion et faire aimer à leurs maris ce travail de création… Lorsqu’il y a des commandes importantes, il n’est pas rare que les hommes viennent mettre la main à la pâte, les aidant dans leurs travaux de couture et de confection. De plus, du fait de ce travail extérieur des femmes, les taches domestiques se répartissent différemment. L’égalité au sein de cette répartition entre homme femmes n’y est sûrement pas parfaite, mais elle semble plus en voie que dans d’autres milieux.