L’Etat d’Israël, comme on nous le rappelle rarement, a été créé en 1948, à la sortie de la IIe guerre mondiale. Acte de culpabilité collective et globale ou opération économique de premier vol ? Sans doute un peu des deux. Toujours est-il que près de soixante ans après, les mêmes démons sont mis en exergue pour mieux camoufler une réalité moins glorieuse mais tout aussi lucrative. Mais qu’est-ce qu’elle nous raconte celle-là ? Le cerveau me démange depuis vingt ans et aujourd’hui, mes plaques ou mon prurit, à défaut de se calfeutrer dans le symptôme, prennent sens, ordonnent les faits, lient les tendances, organisent les systèmes. Présomption ? juste une hypothèse.
Sionisme, ciment du capitalisme
Le sionisme est né bien avant les pogroms, les expulsions, les déportations de populations, l’Extermination finale du XXe siècle. Le sionisme, encore un " isme ", est un projet de société. Un projet de transformation sociale qui inclut l’expansionnisme, forme de dérivé de l’impérialisme. Né, selon mes faibles connaissances, à la fin du XIXe siècle, dans la perspective d’un Etat pour les juifs persécutés d’Europe, il s’est tout d’abord illustré dans la lutte contre le colonialisme britannique. Où ça ? en Palestine… Dès les années 20, les Ben Gourion, Begin et autres sauveurs posaient des bombes pour libérer du joug des Anglais, cette terre qui ne leur appartenait pas. Des commandos sillonnaient cette minuscule région du monde, pour faire sauter des brigades, des bases militaires, des colonies. Ça ne vous rappelle rien ? De fait, quelques années après la Ire Guerre mondiale, la révolution russe et le génocide arménien, des groupuscules armés menaient, dans l’indifférence généralisée apparente, leurs petites affaires dans une portion de désert qui connaissait environ 300km de côtes méditerranéennes…Et puis, il y eut le racisme institutionnalisé en Europe de l’Est. La xénophobie comme terreau d’un programme de campagne basé sur le national-socialisme. Ça non plus ça ne vous rappelle rien ? Des milliers de juifs polonais, roumains,… animés par l’esprit révolutionnaire, le communisme, la foi en un monde juste au service des populations ont quitté leur pays d’origine pour construire en terre sainte des îlots de bonheur : les kibboutz. De réelles pépinières d’entreprises collectives, de véritables centres d’expérimentation autant sociaux qu’économiques. Quel rapport avec les commandos sionistes ? aucun. Pourquoi ne nous le rappelle-t-on pas ? Devinette. Cadeau. Et puis, il y eut, en Europe, les arrestations, les étoiles jaunes, les expulsions, les déportations qui présupposaient les plans d’extermination massive. Six millions de morts parmi les juifs, 10 millions au total. Un peu moins de deux fois la population actuelle d’Israël. Heuk. Silence.
Libéralisme, ciment du sionisme
Des responsabilités toutes trouvées, le fascisme et sa version la plus sordide, le nazisme, en tête, mais sont-ce les seules ? Toujours soixante ans après, on commence à entendre parler de la complicité de l’Eglise catholique, des industriels allemands. Et de tous les autres, qu’en est-il ? Les libérateurs de la France et de l’Europe n’ont-ils pas, avec leur plan Marshall, commencé à poser les marques d’un capitalisme post-moderne, qui tire ses profits de la destruction, de la casse, tirant plus ses richesses de la réparation que de la construction, de la création. Ça aussi, ça ne vous rappelle rien ? Quand est donc né le libéralisme et comment ces théories coïncident-elles avec le projet d’un Etat en pleine zone arabe, le Proche-Orient ? Ouvrir les marchés, rompre avec le protectionnisme/nationalisme à l’européenne, avec l’Etat-providence, faire circuler les capitaux au-delà des frontières, privilégier la spéculation à la production…Résoudre simultanément la question de la culpabilité collaboratrice européenne et le développement en douceur du capitalisme dans des zones monarchiques, voire archaïques mais riche en matières premières. L’affaire était dans le sac ! Des génies ces Américains ? J’espère que non. Des experts sans histoire, ça c’est sûr. Des chimistes. Des Messieurs Tournesol. Avec en plus, la conviction que l’individualisme demeure le seul remède devant la menace collectiviste du bloc soviétique. Des responsabilités partagées donc.
Et puis, ça a continué. Les Sépharades (juifs d’Afrique du Nord) font les frais de la fin du colionalisme français dans les années 60, puis c’est le tour des Russes et de nouveau des Roumains, et encore des Erythréens, interdits de séjour dans un pays qui se musulmanise. Et puis, et puis…Pendant ce temps-là, les enfants des kibboutzim grandissent, deviennent adultes et ne se reconnaissent pas dans une société où le cours de la bourse se pâme dans les vitrines des banques, de Jérusalem à Tel Aviv en passant par Haïfa, où l’armée est une institution, le militaire un élément de la vie quotidienne, la xénophobie une soupape de sécurité…Contradiction ? non. Situation intrinsèque. Comment combiner la soif d’un pays juste, où communautés juives, musulmanes, chrétiennes, orthodoxes co-habitent, et la politique expansionniste, paranoïaque et dépendante, de ses dirigeants ? Ils partent donc ces jeunes. Ils fuient.
Démocratie de pacotille
Une démocratie pourtant, me direz-vous ? Et c’est là que cela devient intéressant. Quand je me suis rendue dans ce pays, tout de suite après les massacres de Sabra et Chatila, en avril 1983, j’étais convaincue, malgré ma colère exacerbée, de me rendre dans la seule démocratie du coin. C’est à ce moment-là, que j’ai commencé à nuancer cette notion, plaquée à vau-l’eau, dès qu’il s’agit de répression. Un, il n’y a pas de démocratie, sans droit à l’initiative économique collective et sans moyen d’inclusion de chacun des habitants dans la société. Autrement dit, la démocratie politique n’est rien sans démocratie économique et sociale. Deux, en Israël, cette évidence est tellement outrancière, que le système démocratique ne vaut que pour les Israéliens, ce qui signifie en clair, qu’il exclut toutes les populations dont l’Etat a pourtant pris le contrôle, les Palestiniens. Seul exemple marquant : les Palestiniens passent devant des tribunaux militaires quelle que soit la nature du délit dont ils sont présumés coupables alors que les Israéliens passent devant des tribunaux civils, comme dans n’importe quelle démocratie occidentale. Israël incarne donc une démocratie en demi-ton ou à deux temps. Un avant-goût de ce qui se met en place un peu plus près de chez nous, pour ne pas dire chez nous depuis quelques années. Ça ne vous dit rien le ministre délégué aux libertés locales ? Les tribunaux d’exception ? La Lsq (loi de sécurité quotidienne) ? Des pansements, des solutions à court terme, qui renvoient dos-à-dos les victimes et les agresseurs. Des genres qui s’interchangent. Une réalité. Tragique. Un mal nécessaire, voire indispensable, pour la survie d’un système, le libéralisme qui trouve plus que jamais la source de ses profits dans la casse et la haine. Les petits délinquants de nos cités ne viennent-ils pas régulièrement s’entasser dans nos institutions pénitentiaires, dont les services – restauration, blanchisserie, eau, électricité…- sont intégralement entre les mains du privé, l’Etat gardant le rôle d’employeur des matons ? La destruction de Jenin, Naplouse, Hébron, Bethlehem, Ramallah ne fait-elle pas le petit lait des Bouygues français, norvégiens, allemands, et autres Berlusconi ? Un plan Marshall, version moderne tiens ! Et puis, ces transferts certains et tout en douceur du service public vers le privé, du processus de paix vers la militarisation, ne procèdent-ils pas de la démission des " modérés " ? Dans les deux sens ? Ces " modérés ", gauche et droite parlementaire en France, Fatah en Palestine, ne seraient-ils pas un peu largués ? Dépassés par les événements ? Contraints de passer des alliances " contre-nature ", histoire de faire bonne figure ? Ou au contraire très au fait du système qu’ils servent : juteux et aliénant. Un système où l’exclusion, la négation, la perte de mémoire sont au cœur. Un système basé sur la domination. Un système que connaissent bien les femmes, premières victimes du patriarcat, ancêtre et ferment de ce capitalisme moderne. Ces femmes qui vivent pourtant le rejet institutionnel, la non-reconnaissance et l’oppression, ne sont-elles pas un peu partout dans le monde les précurseures des nouvelles formes de résistance ?
Radicaliser la résistance
Alors quelles responsabilités avons-nous ? Nous devons créer de nouvelles dialectiques. Nous devons réhabiliter l’histoire, revaloriser la mémoire, comme éléments du squelette de notre existence collective. Nous devons dénoncer les "empêcheurs de penser", les médias, moteurs de notre ignorance collective et individuelle. Nous devons systématiquement déjouer les mauvais tours qui font de nous des observateurs, voire des réacteurs, plutôt que des acteurs. Nous devons initier un débat, une discussion, une parole libre, ouverte, débarrassée de ses codes imposés par les outils de répressions. Nous devons ré-ouvrir les ponts entre générations, religions, ethnies, sexes. Nous devons enfin imposer une nouvelle grille de lecture de ce monde et prendre les armes de l’information.
Voir également la lettre adressée par Andrée Michel aux ministres des Affaires étrangères et de l’Intérieur à propos de l’accueil réservé par les Israéliens aux missions d’observation civiles.