Les attentats du 11 mars à Madrid et les événements postérieurs, marqués par le manque d’information et par la manipulation que le gouvernement espagnol a imposée non seulement à son pays, mais aussi au monde entier, ont produit un tel bouleversement moral que les gens se sont jetés dans la rue pour réclamer la vérité sur ce qui était en train de se passer.
Les citoyen-nes assistaient, sous le choc, à une campagne médiatique au cours de laquelle les ministres sortant-es (Acebes, Zaplana, Palacio) ont intoxiqué les médias. La haine et la douleur à cause des attentats, ainsi que le rejet généralisé d’une situation de "mensonge institutionnalisé" ont trouvé leur réponse dans la rue. Quatre jours de manifestations et de recueillement dans les grandes villes espagnoles comme dans les villages les plus reculés. La réflexion de la veille des élections du 14 mars s’est déplacée vers la rue. La télévision publique désinformait sans cesse mais la volonté de savoir ne pouvait pas être arrêtée, même pas avec les manifestations "spontanées" lancées par le parti au pouvoir.
Les médias alternatifs d’information et la presse internationale ont joué un rôle fondamental dans la résistance à la manipulation, apportant une information critique des versions officielles du gouvernement. Les réseaux de femmes, aussi bien ici qu’au sein des réseaux internationaux de nos amies féministes, ont été la source d’inspiration et d’échange pour construire un sens à tout cela, pour donner une perspective différente aux événements de Madrid. Au-delà du vote, de la peur et de la terreur, ces jours ont été marqués par une résurgence de la politique dans les mains d’une citoyenneté qui cherche des réponses, qui agit hors structure (ce n’étaient ni des institutions ni des partis ni des associations qui ont été à l’origine de ces mouvements) et qui a mis en place de nouvelles formules de participation citoyenne.
Les portables, Internet, la rue et les réseaux
Internet et les téléphones portables ont été les alliés de tou-te-s ceux-elles qui réclamaient vérité et honnêteté à un gouvernement qui, pendant son mandat, s’est caractérisé par le despotisme et par « l’imposition par la force ».
Sans convocation, sans représentants, samedi après-midi, la veille des élections, les gens ont commencé à sortir de chez eux, les textos et messages se propageaient de copine à copine, de cousin à cousine, pour annoncer un rendez-vous devant le siège du PP afin de réclamer la vérité. Entre-temps, les messages par Internet se multipliaient pour annoncer des « casserolladas » dans les quartiers.
Encore une fois, Barcelone remplissait ses rues de manifestant-es. Les mêmes rues qui ont été occupées ces deux dernières années par la grève générale, contre le désastre écologique du Prestige, contre la violence envers les femmes et contre la guerre en Irak. Les manifestations de Barcelone ont retrouvé l’esprit qui avait fait bouger des millions de personnes contre la guerre et contre un gouvernement qui a agi en ignorant l’avis du peuple ainsi que la légalité internationale, méprisant toute forme de démocratie.
Mobilisation – indifférence
La réponse massive des gens aux urnes et l’échec du PP étaient pourtant imprévisibles et ont surpris même les plus optimistes. Le changement de gouvernement permet de respirer un air de soulagement, mais les événements ne cachent pas la fragilité de nos démocraties, entachées d’une franche progression des extrêmes droites au sein des instances de pouvoir. Cette présence de l’extrême droite pousse au contrôle systématique des médias, à l’inflation de l’insécurité citoyenne et au maintien d’→une distance arrogante avec la participation du peuple.
Nous ne pouvons pas oublier que la recette néolibérale du Parti Populaire "moins impôts → plus de croissance économique → L’Espagne va bien", à côté de l’autre maxime préférée, « immigration + terrorisme → hausse de l’insécurité urbaine → plus de contrôle et de militarisation", se sont ancrées dans les idées de beaucoup de citoyen-nes de ce pays. Jusqu’à maintenant, aucune action ou attitude du PP n’avait été considérée comme étant suffisamment négative pour le détrôner.
La réalité a cessé d’être peinte en couleur « bleu efficace », style PP, pour s’habiller en deuil. Les mort-es de Madrid font très mal. Cependant, il ne faut pas oublier que les mort-es des autres conflits internationaux font aussi très mal, ainsi que les personnes tuées par les mines antipersonnelles que nous avons fabriquées, les victimes du Sida en Afrique, les mort-es de faim, les abandonné-es, les exclu-es de nos propres villes. Il est temps de récupérer la conscience critique citoyenne et d’ouvrir les yeux.
Le crime de Madrid semble nous avoir redonné la politique en majuscules, c’est à dire, celle des valeurs, des attitudes et des jugements. Avec un peu d’optimisme, ces résultats peuvent être lus comme un rejet de l’utilisation de la peur des gens, comme une affirmation des droits à la liberté d’expression et à un gouvernement qui rende des comptes au peuple, comme une vision de la sécurité qui comprenne les gens de Bagdad autant que les gens de Madrid. Et comme une plus grande préoccupation pour les aspects sociaux que pour les peurs provoquées par l’insécurité médiatisée.
Transformation du paradigme mondial ?
Le bouleversement demeure présent, mais après l’avalanche de sentiments des premiers jours, nous avons commencé à percevoir l’importance de ce qui venait de se passer. Des millions de personnes se sont mobilisées contre ce qui est arrivé le 11 mars et beaucoup sont sorties dans les rues pour réclamer la paix mondiale. La guerre continue en Irak et en Palestine, mais les gens refusent d’être complices et victimes de ces guerres. Nous ne voulons pas de ce monde gouverné par des intérêts capitalistes, fondamentalistes ou sexistes. Les dirigeants des pays qui ont soutenu l’attaque contre l’Irak se veulent maintenant être pris en photo aux côtés du prochain Président du Gouvernement Espagnol.
Les événements qui ont suivi le 11 mars ont un impact clair sur la situation internationale : avec le changement de gouvernement en Espagne, la coalition pour la guerre sera affaiblie. La voix de la rue s’est aussi traduite dans les urnes. Les mouvements et les réseaux sociaux se renforcent face à la barbarie et au harcèlement conservateur.
Les événements des derniers jours nous montrent plus que jamais l’importance de l’organisation et de la participation citoyenne, qui élève une voix critique et autonome, au-delà des intérêts partisans et électoraux.