En octobre dernier, J. J. Natch, une détenue de 17 ans donnait naissance à son premier bébé. Survenu au Fort national, la prison où sont incarcérées des femmes et même des enfants accusés de crimes graves, l’"heureux" événement a révolté les organismes de défense des droits humains de Port-au-Prince. Et pour cause : la jeune fille prisonnière depuis trois ans sans jamais avoir été déférée devant un tribunal, avait été violée par un agent de santé de l’administration pénitentiaire !
"Le 19 février 2002, dans l’enceinte même de la prison bondée de prévenues en détention préventive, J. J. Natch a été violée par un agent de santé travaillant à l’infirmerie de la prison", s’indigne Yolette Jeanty, la responsable de Kay Fanm (Maison des femmes), un organisme de défense des droits féminins. "Le violeur, qui n’a pas été inquiété, avait pourtant déclaré de manière explicite qu’il avait l’intention d’avoir des relations sexuelles avec la prisonnière."
Ce n’est pas la première fois que des mineures incarcérées au Fort National – une ancienne caserne transformée en prison après le démantèlement de l’armée haïtienne en 1994 – sont victimes de violences sexuelles, du fait du personnel ou des autres détenues. "Le surpeuplement des cellules et les conditions de détention exposent les jeunes à des sévices sexuels permanents", explique Renan Hédouville, du Comité des avocats pour le respect des libertés individuelles. Ces abus ont été la norme jusqu’à ce que les mineures soient séparées des adultes, il y a peu. "Les petites filles étaient violées par des lesbiennes adultes logées dans les mêmes cellules, s’indigne Me Hédouville. Et c’était la même chose dans les cellules des jeunes garçons."
Un mètre carré par détenu
Cette promiscuité alimente une violence latente comme dans toutes les prisons du pays. Désormais les prisonniers sont séparés selon leur âge et leur sexe, mais sans qu’on tienne compte de la gravité du délit qu’on leur impute, encore moins du danger qu’ils représentent pour les autres détenus. "Des petits pickpockets se retrouvent ainsi dans la même cellule qu’un assassin", déplore un fonctionnaire, qui estime à un mètre carré l’espace vital maximum auquel peut prétendre un détenu dans une prison haïtienne. Les normes internationales en prévoient trois, au minimum…
Une barrière grillagée sépare la cour de la prison d’un hall d’une quinzaine de mètres carrés, qui tient lieu de parloir. Debout de part et d’autre de la grille, visiteurs et détenues échangent quelques paroles tristes sous l’œil de geôliers indifférents. C’est le cas de Marie-Line, une jeune femme de 19 ans qui croupit depuis quatre mois derrière les barreaux. Elle aussi enceinte, elle est accusée d’enlèvement de mineur. "Elle a accompagné en République dominicaine une amie qui s’était retrouvée dans la rue après une dispute avec ses parents, explique un proche venu lui rendre visite. Ils l’ont fait appréhender." Depuis, Marie-Line a été présentée à trois reprises au prétoire sans que les plaignants daignent se présenter… Elle risque d’attendre longtemps avant d’être jugée.
Dans la Perle ternie des Antilles, plus de 80 % des quelque 3500 pensionnaires des 18 centres de détention de l’Administration pénitentiaire nationale (Apena ) n’ont jamais été déférés devant un juge. En janvier 2003, sur les 1700 détenus du Pénitencier national, 197 seulement avaient été condamnés par la justice. Même scénario au Fort national où, sur les 93 femmes et enfants incarcérés, huit purgeaient leur peine. Les autres attendent, désœuvrés, dans la chaleur suffocante, espérant vaguement que quelqu’un, quelque part, se souvienne de leur existence.
Justice à deux vitesses
"La lenteur du système judiciaire est grandement responsable de la détention préventive prolongée", soupire Clifford Larose, le directeur de l’Apena. La justice haïtienne n’est pourtant pas paralysée pour tout le monde. "Si des proches ont les moyens de leur offrir un bon avocat, les détenus sont assurés d’aller rapidement au prétoire", chuchote un responsable.
Interrogée à travers la barrière grillagée, Evelyne se sent, elle aussi, abandonnée. Désespérée, elle dit songer au suicide. "Les conditions étaient meilleures pendant la garde-à-vue", affirme la jeune femme, appréhendée pour trafic de stupéfiants. Tout près, quelques jeunes garçons sourient impudemment. Tous ne sont pas des enfants de chœur. "Armes et munitions m’attendent à ma sortie de prison pour que je puisse poursuivre ma mission", a même lancé un enfant à un fonctionnaire de l’Apena, stupéfait par tant de candeur assassine.
La législation haïtienne est pourtant formelle : "Aucun délinquant âgé de moins de seize ans ne peut être envoyé en prison ; sa réinsertion doit se faire à domicile ou dans un centre spécialisé d’éducation ou de soins". Autant dire nulle part dans ce pays qui, crise politique et gel de l’aide internationale aidant, n’a pas les moyens de ses politiques.
Cet article est offert par l’agence Syfia