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Un lieu pour se reconstruire

mercredi 31 mars 2004, par Dominique Foufelle

Lors de cet exposé, je souhaite vous faire part de mon expérience de travail dans un Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale. Ce centre accueille des femmes seules ou avec enfants en situation de rupture familiale et sociale : femmes en rupture de couple, expulsées de leur logement, sortantes de prison ou de post cure, réfugiées politiques… Si leur parcours est différent, elles sont toutes dans une situation d’isolement et de rupture et la plupart, soit près de 90%, sont victimes de violences conjugales.

C’est sur ces femmes victimes de violences que je vais axer mon propos en émettant l’hypothèse que ce lien familial "pathologique" rentre en résonance avec leur histoire infantile, et en tentant de voir justement en quoi le centre d’hébergement peut leur permettre de créer de nouveaux liens et de s’inscrire dans la société.
En effet il y a cinq ans, lorsque je travaillais dans ce centre d’hébergement, il s’agissait d’une structure collective et l’équipe éducative dont je faisais partie ainsi que les organismes payeurs (D.A.S.S.), souhaitaient que la structure collective se transforme en "structure éclatée", la collectivité étant perçue de manière péjorative. Or avec un peu de distance, je m’interroge maintenant sur la fonction de la collectivité : ne permettait-elle pas au contraire aux femmes de pouvoir se reconstruire plus facilement qu’en appartement individuel ?

La situation des femmes demandant une prise en charge au C.H.R.S.


Les premiers constats que l’on peut faire sont que :
* La majorité de ces femmes sont isolées socialement et ont très peu de soutien familial soit du fait d’un éloignement géographique (migration), soit du fait d’une mésentente ancienne.
* Leur démarche de départ est souvent induite par la présence des enfants. C’est souvent la souffrance des enfants qui vont inciter les femmes à aborder la violence conjugale, qu’un sentiment de honte les amenait jusqu’à présent à cacher. Dans leur discours, ce sont les enfants qui sont souvent au centre de leur propos : c’est à cause de lui si je me fais frapper, c’est grâce à lui si j’ai eu le courage de partir…
* Ce départ est souvent insufflé par une parole : propos d’une amie, d’un parent, conseil d’un travailleur social ou menace d’un juge. Cette première parole donnée va donner le ton à l’accompagnement qui pourra être effectué, et comme dans le cas de la médiation, si l’admission au centre d’hébergement est imposée par un juge il n’a pas la même valeur dans la demande et l’implication des femmes et de l’équipe éducative.

Le centre d’hébergement : lieu d’accueil…


D’une parole
L’admission au centre d’hébergement ne se fait qu’après un entretien avec l’équipe éducative. La femme va devoir livrer son histoire, c’est souvent une des premières fois qu’elle rend compte de cette sphère intime qu’est sa relation de couple. C’est un début d’élaboration de symbolisation qui va se faire par cette énonciation ; la femme va affirmer devant autrui sa propre existence. L’équipe va à son tour retransmettre cette parole en réunion ou une reconnaissance va être donnée

D’un départ, d’une rupture
Le centre d’hébergement est avant tout un lieu d’accueil d’un départ, d’une rupture.
Elles "quittent tout" suivant leur propre expression avec toutes les souffrances et les deuils que cela impose.
La rupture est le temps du tourment, de la plainte, du regret, de l’amertume ou de la rancœur. C’est toujours un événement douloureux qui renvoie à la question de la perte, du manque, de la castration. C’est un temps de crise, de doute, de remise en question d’un système de valeur où des représentations et des repères s’effondrent.
Mais cette rupture comme le déclare Kaës "masque toujours une autre rupture qui la rappelle et qui la contient".
Dans la situation des femmes victimes de violences conjugales, la rencontre avec le conjoint violent marque souvent la rupture avec la famille et avec les autres. Cette rupture familiale et sociale si elle est due à la relation "pathologique" du couple, fait apparemment suite à une relation familiale douloureuse.
C’est cette rupture ancienne, celle d’avec la mère, qui va être réactivée par la rupture conjugale.

La situation de violence en lien avec l’histoire personnelle


Il semble trop facile de supposer une répétition de la violence et de dire que les femmes victimes de violences en ont subies ou vues dans leur enfance.
Pourtant dans un premier temps, on peut seulement émettre l’hypothèse qu’un passé fait de tentatives de destruction et de négation de l’intégrité physique ou psychique prédispose à de nouvelles atteintes, car ne donne pas les outils nécessaires pour se protéger. La clinique, dans un deuxième temps, nous montre que la violence dans laquelle un sujet s’installe à l’âge adulte entre toujours en résonance avec une histoire passée qui en porte la marque.
Le socle sur lequel se fonde la violence a son origine dans la relation du sujet aux objets d’amour de l’enfance.
Pour la femme victime de violences conjugales, il semblerait qu’elle soit dans un système de répétition de violences subies ou vécus en spectatrice.
Une étude faite dans un centre d’hébergement par Monique Oswald, psychologue clinicienne, met en relief la problématique de la relation précoce mère/fille comme étant un élément central. Il est souvent repéré une mère défaillante dans sa fonction de protection soit parce qu’elle était victime elle-même de violences, soit parce qu’elle pratiquait des violences sur son enfant ou y participait de façon active ou passive.
La fille qui a assisté aux violences subies par sa mère va par l’injonction de répétition s’interdire d’être différente, avec le sentiment qu’elle doit être son égale et supporter autant d’affliction, de sacrifice et de souffrance qu’elle ; la rencontre avec le partenaire violent se fait alors sous le signe de la répétition. (cf. Naouri et Bildowski)
Celle qui a subi des violences maternelles va par déplacement des liens qui l’attache à son premier objet d’amour, reproduire cette relation avec le compagnon.
L’ancienne relation maternelle est reprise dans l’actualité de l’existence adulte, elle se figera dans la répétition de la violence.
Dans la relation qui unit la femme à son compagnon violent il y a la quête sans fin d’un amour infantile jamais reçu, recherche qui constitue le facteur dynamique de la relation du lien au partenaire.
Les violences conjugales questionnent tous les registres de la relation maternelle primitive : transmission, identification, séparation impossible, déplacement et report.
C’est donc de cette rupture là, celle avec la mère "suffisamment bonne" que la femme va aussi avoir à faire en se séparant de son conjoint.

Le centre d’hébergement : lieu de reconstruction identitaire


Le Centre d’hébergement peut par ses différentes fonctions permettre que la rupture s’élabore symboliquement et aider à la construction de nouveaux liens.

Le CHRS comme espace transitionnel
Les premiers temps au centre d’hébergement se situent dans un "espace intermédiaire" tel que le décrit Winicott ; c’est un temps suspendu dans lequel subsistent des points de repère liés au passé pas encore dépassé, et l’impossibilité de projection sur un devenir incertain. Le centre d’hébergement est un lieu de passage : les prises en charge ne peuvent excéder six mois. Elles rentrent dans la fonction décrite par Kaës sur l’espace transitionnel, de conserver un caractère transitoire évoluant vers un changement.

La communauté comme lieu de reconstruction identificatoire
Au centre d’hébergement, la femme va rencontrer d’autres femmes victimes, elles aussi, de violences ou vivant des situations qui "leur font violence". Ce partage d’expérience peut, dans un premier temps, créer un lien identitaire d’appartenance à une famille, une communauté. La construction de ce lien passe par les processus identificatoires, elle va côtoyer des femmes sur le départ vers l’autonomie, vers une autre vie, mais aussi celles "qui y retournent". Les autres femmes hébergées au centre vont jouer les différentes fonctions de modèle, de soutien ou d’adversaire que Freud a décrit dans Psychologie des foules et analyse du moi.

L’équipe éducative comme fonction parentale et de lien social
Dans l’antiquité, l’éducateur était un esclave. C’est celui qui amenait les enfants des grandes familles romaines jusqu’au gymnasium, qui était le lieu de la socialisation et de la culture. Il a dès l’origine le rôle d’accompagnateur, de lien entre la famille et l’environnement social et culturel.
Au centre d’hébergement, l’équipe éducative peut être vécu comme un soutien de l’ordre d’un contenant, d’un cadre et d’une réassurance. Elle a un rôle de protection et de sécurisation que l’on pourrait mettre en lien avec une fonction parentale. Elle permet la rencontre, la parole, la mise en place de lois, de règles, d’interdits, dont elle est garante et autour desquelles va fonctionner la "communauté".
L’équipe éducative est aussi dans sa fonction d’accompagnement vers l’environnement, vers l’extérieur. Aussi bien par la mise en lien de la femme avec les instances extérieures (administrations, avocat, office HLM, écoles…), que par l’accompagnement dans sa démarche de "plainte" permettant à la femme de passer d’une dimension intime à une dimension publique par la plainte qu’elle portera au commissariat. Cette démarche placera la femme comme "victime" car sa souffrance sera reconnue par le discours social. Faire reconnaître la violence subie, c’est se lier à la société qui la dépeint comme telle.

Limites du centre d’hébergement

Dans une situation "idéale", les femmes hébergées au C.H.R.S. vont grâce aux différents point abordés ci-dessus pouvoir se reconstruire et établir des liens avec les autres, avec la société.
Or comme on vient de le voir, les femmes victimes de violences sont souvent prises dans la reproduction d’une histoire de laquelle il est difficile de sortir. Rompre avec cette violence, c’est faire un travail de deuil, renoncer aux questions restées sans réponses.
Il faut savoir que beaucoup d’entre elles retournent auprès du conjoint violent ou reproduisent une situation similaire avec un autre compagnon. Elles sont souvent prises dans une compulsion de répétition et un travail de deuil impossible.
Souvent le départ, celui qui va vraiment mettre fin à l’illusion, au déni, fait suite à une série d’allers-retours. La rupture se fait par étapes, chaque étape est un pas vers le dépassement d’une histoire douloureuse. Le premier pas, celui où la femme va venir raconter son histoire, est déjà le point de départ vers une rupture, car c’est là qu’elle va enfin se reconnaître comme un être en souffrance et cette reconnaissance va laisser une trace.

P.-S.

Béatrix Bastoul – février 2004

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