Comme l’affirme Bonaventura Sousa Santos du Portugal « les FSM sont une nouvelle internationale, non une internationale de partis comme dans le passé, mais une internationale des peuples, surtout ceux du Sud. Bombay prouve que l’esprit de Porto Alegre peut être répété en Asie et aussi un jour en Afrique. » [1]
À Mumbaï (ex-Bombay), du 16 au 21 janvier dernier, s’est manifesté clairement le refus d’un ordre, considéré injuste, qui domine les relations internationales, les relations Nord-Sud, les relations entre les États et les citoyens, entre l’économie et la société, etc. Durant ce rendez-vous, il s’agissait pour les participants d’exprimer, non seulement leur intention de résister aux conséquences dites désastreuses des stratégies de gestion et de développement d’orientation néo-libérale, mais aussi de concrétiser le désir de construire un autre monde plus juste en élaborant des propositions d’action viables.
Une nouvelle logique économique
Durant ces cinq jours de réflexion intense, le mouvement de l’économie sociale et solidaire a posé les fondements d’une nouvelle logique économique qui, contre la concurrence, la primauté du capital, l’affaiblissement des États du Sud, la destruction de l’environnement, l’exploitation des agriculteurs, des enfants, la dévitalisation des liens sociaux, etc., propose un projet de société qui placerait la personne humaine au centre des préoccupations et la solidarité comme moteur de l’activité économique. D’après Abdou Salam Fall du Sénégal, président du Réseau intercontinental de promotion de l’économie sociale et solidaire (Ripess), un des acteurs majeurs de ce mouvement au Fsm 2004, il est possible de penser l’économie autrement que par la logique néolibérale. Abdou Salam Fall défend la thèse selon laquelle l’économie doit être au service de la société et non l’inverse, comme nous l’impose l’idéologie dominante. La vision du pluralisme économique ne remet pas en cause l’importance du secteur privé, mais prône un développement parallèle de l’économie publique et sociale. Ce projet repose sur des valeurs qui peuvent être regroupées autour de quatre piliers : l’éthique de la création de la richesse, l’équité dans l’accès aux ressources, le rejet de la dépendance et la valorisation des diversités culturelles.
Vers un monde plus juste
À Mumbaï, les modérateurs des activités sur cette économie à finalité sociale ont donné la parole à de multiples intervenants, argentins, guinéens, québécois, sénégalais, kenyans, péruviens, indiens, français, américains, brésiliens, mexicains, etc. Chacun d’entre eux a disserté sur les expériences nationales, les initiatives alternatives, les résultats concrets ainsi que sur les limites et contraintes liées au mouvement. Les débats se sont articulés principalement autour de différents enjeux : les finances solidaires, le développement local, le commerce équitable, la solidarité Nord-Sud, les politiques publiques, la monnaie sociale, les alternatives populaires aux privatisations, l’équité entre les sexes, la responsabilité sociale des entreprises, etc. Ces thématiques ont donné lieu à des propositions visant à promouvoir la quête d’un monde plus juste. Dans ce sens, les conclusions générales tendent vers la volonté d’introduire, de façon plus significative, les valeurs relevant de l’économie sociale et solidaire dans le processus d’élaboration des politiques publiques tant au niveau national qu’international. Cette volonté se manifeste à travers une interaction continue entre deux catégories d’acteurs : d’abord, ceux qui appartiennent à la société civile au Nord comme au Sud et posent des actions concrètes dans une perspective de transformation sociale et, ensuite, les institutions publiques internationales et nationales qui tentent de s’engager dans cette même mouvance.
Maximiser le capital social
Au niveau de la société civile, les actions à mener après Mumbaï doivent s’attaquer prioritairement aux différentes formes d’inégalité qui rendent possible la pauvreté et proposer des alternatives crédibles et durables au néo-libéralisme.
Les stratégies à mener par cette catégorie d’acteurs visent essentiellement à : favoriser au maximum la création d’emplois, développer des capacités chez les individus (compétences, expertises). De plus, elles devraient appuyer le développement de coopératives, micro et petites entreprises, canaliser l’appui aux expériences novatrices d’économie sociale et solidaire, dans le but de les mettre en évidence et de les multiplier. Par ailleurs, la société civile doit également développer des stratégies visant, en particulier, à répondre aux besoins spécifiques des populations en maximisant le capital social ainsi que l’utilisation durable des ressources naturelles, encourager la créativité et la proactivité des acteurs collectifs et individuels dans le secteur de l’économie sociale, globaliser les initiatives de justice sociale (le commerce équitable et les finances solidaires), faire des propositions en ce qui concerne la certification des pratiques, mettre en place des alliances internationales pour maximiser l’influence des acteurs sociaux sur les politiques publiques au niveau supra national.
En revanche, au niveau de l’engagement des institutions publiques, les objectifs énoncés, lors du Forum, ont principalement mis l’accent sur : la planification du développement durable à l’aide de budget participatif tenant compte de la dimension environnementale (environnement sain, accès à l’eau et à l’énergie), le renforcement de la gouvernance locale, la mise en place d’instances de concertation entre l’État et la société civile. Il a été question de l’élaboration de mécanismes de financement pour accompagner les initiatives visant le renforcement de la solidarité locale et la réalisation de recherches quantitatives et qualitatives sur l’impact des activités et la certification des initiatives d’économie sociale et solidaire. Enfin l’appui aux entreprises collectives et sociales en articulant les différentes ressources (privées, publiques, internes, externes, individuelle et collectives).
Allier gouvernance locale, développement durable et participation active
Pour une prise en compte de l’économie sociale et solidaire dans les politiques économiques publiques, les différents intervenants au FSM à Mumbaï entendent relever les défis suivants : faire avancer la promotion et l’institutionnalisation de l’économie sociale et solidaire, trouver une cohésion entre les différentes pratiques au sein de cette économie afin de créer un véritable consensus en ce qui concerne la définition de ce concept d’économie sociale et solidaire au niveau global et enfin développer un nouveau paradigme de développement s’appuyant sur une conjonction entre la gouvernance locale, le développement durable et la participation active des citoyens.
Enfin les stratégies énoncées, en ce qui concerne les pays du Sud, appelaient à résister aux accords internationaux et aux politiques de développement jugés défavorables et à reconstruire les États affaiblis par le fardeau de la dette. Elles ont aussi insisté sur la nécessité d’une plus grande implication des acteurs de la société civile dans l’élaboration et la mise en œuvre des Programmes de réduction de la pauvreté élaborés par les institutions multilatérales afin d’éviter que ces derniers ne soient le prolongement des Programmes d’ajustement structurels. Ces stratégies préconisaient surtout la création d’institutions sociales fortes capables d’assurer une redistribution des ressources en s’appuyant principalement sur des dynamiques populaires et non pas seulement sur les investissements étrangers. Les épargnes nationales pourraient être confiées à des institutions mutualistes et coopératives (banques populaires, fonds d’investissement) afin de favoriser la création de richesse en contexte de précarité tout en préservant les dynamiques de groupes et les liens sociaux.
Les activités sur l’économie sociale et solidaire au Fsm 2004 se sont achevées par une invitation à la mobilisation des différents acteurs de ce domaine pour une préparation active de la 3e rencontre internationale sur la globalisation de la solidarité organisée par le Ripess. Sous le slogan « Résister et construire », ce rendez-vous a été fixé à Dakar en novembre 2005. Après Lima en 1997, Québec en 2001, cette dynamique rejoint l’Afrique qui devra partager, elle aussi, son expérience en économie sociale et solidaire.