Le Comal (Comité Organisateur de la Manif Lesbienne) a commencé à se rassembler à partir de 14 heures au pied du Monument à la révolution, peu à peu rejoint par des lesbiennes venues répondre à l’appel et y ajouter leur propre proposition, individuellement ou en groupes.
Les médias étaient également présents, recueillant des témoignages de lesbiennes et des histoires de vie, pendant que les banderoles étaient peu à peu réunies. Une dame se protégeait du soleil en nous disant avec un sourire : « J’ai rendez-vous avec ma fille, elle va manifester et elle m’a demandé de l’accompagner ». La sono jouait de la musique dansante pour que notre fête lesbienne puisse commencer, pendant que nous attendions le reste des lesbiennes.
On distribuait les tracts, on reconnaissait les visages — beaucoup des lesbiennes qui avaient participé à la Manif 2003 étaient là pour cette deuxième Manif. La félicité montait, au micro on entendait : « Nous nous sommes données rendez-vous aujourd’hui pour prendre la rue ! », suivi de cris de joie et de vivats.
Un cortège étoffé et coloré
A 16h15, on commença à annoncer le départ de la manifestation, toutes les lesbiennes se placèrent derrière la banderole principale, les compagnes de l’Université de Santa Cruz (en Californie, UCSC selon son sigle anglais) qui étaient venues nous appuyer prirent la banderole, on demanda à des volontaires de differ les tracts, les autres participantes se saisirent des pancartes qui portaient des slogans politiques, tandis qu’apparaissaient d’autres banderoles : « Rompre les barrières, traverser les frontières / UCSC », « GLAAD contre la diffamation / USA », « Telemanitas, centre d’accès à la vidéo / Morelos », « LeS VOZ, 10 ans de culture lesbienne féministe / Mexico », « Sans laisser de traces / Puebla », « Femmes de plus de 30 ans / Mexico », « Amiles / Aguascalientes », « Lesbiennes indépendantes », « Diversiles / Guadalajara », d’autres femmes portaient les uniformes de leurs équipes de foot… L’orchestre de Lesbiennes en Collectif commença à jouer.
Nous avons démarré à 16h20 - les médias nous accompagnaient de leurs flashes pendant tout le trajet, les patrouilles policières féminines ouvraient le chemin, les lesbiennes heureuses criaient leurs slogans tandis que nous laissions derrière nous l’imposant Monument à la révolution.
« Si Sor Juana vivait, elle serait avec nous », « Il n’y a pas de liberté politique sans liberté sexuelle », « Dans mon lit, c’est moi qui commande », « Le poing des lesbiennes attente contre le pouvoir », « Provie, écoute : ma vie n’est pas ta vie ».
Petit à petit, le contingent de la Manif lesbienne augmentait, des lesbiennes venaient nous rejoindre, les familles marchaient avec leurs filles, les mères et pères venaient avec leur pancarte : « ma fille est lesbienne et je suis avec elle », les amis gais respectueux faisaient les chœurs des slogans, les drapeaux arc-en-ciel apparaissaient ici et là, et surtout les lesbiennes bras dessus-bras dessous, en groupes d’amies, en couple ou seules s’avançaient, avec des cris de joie : « Vive la Deuxième manif lesbienne ! », « Viva ! », répétaient les autres.
Fières, sûres de nous, contentes… heureuses sous le soleil radieux, nous marchions le long de l’Avenue Juárez, rejointes par un nombre chaque fois plus important de lesbiennes. Face à l’Hémicycle à Juárez, nous avons marqué un arrêt pour saluer et manifester notre appui à la Marche pour la paix : « la Manif lesbienne envoie un salut à la Marche pour la paix », « les lesbiennes sont contre la guerre et contre la violence ». Les manifestant-e-s répondirent à notre salut et exprimèrent à leur tour leur solidarité, tout en se mettant en chemin vers l’ambassade des Etats-Unis. Parmi eux, se perdirent une vingtaine de lesbiennes qui avaient tenté d’attaquer la COMAL dans le passé , tandis que la Manif lesbienne suivait son chemin, comme une rivière impétueuse et respectueuse, montrant ainsi sa cohérence pratique avec sa position contre la violence, sûre d’être dans le bon chemin pour défendre nos droits.
Tous groupes confondus, nous devions déjà dépasser le millier, à l’entrée de la rue Madero la manifestation débordait, le chœur lesbien chantait et dansait au rythme des tambours des Lesbiennes sorcières en Collectif. « Lesbiennes, lesbiennes, LESBIENNES ! » : les cris résonnaient entre les immeubles de Madero et dans tout le Centre historique. « Lesbienne, consciente sur tous les fronts », « Du ciel un beau matin, Lupe la lesbienne est descendue vers le Tepeyac », « C’est pas vos oignons ce que je dis, c’est pas vos oignons ce que je fais, je suis comme je suis et je ne changerai jamais », chantions-nous toutes en entrant sur la place centrale de la capitale.
Le temps de changer
Les pancartes disaient : « Il est temps de changer : hétérotte, change d’avis ! », « Etre lesbienne n’est pas un délit, c’est un délice », « Les lesbiennes unies ne seront jamais vaincues »… des centaines de slogans lesbiens exigeant une société juste et respectueuse fusaient de toutes parts, agrémentés de quelques phrases moqueuses à propos de la corruption gouvernementale : « Bejarano, laisse-moi consoler Lola », « Faites gaffe, on filme ! »
Les lesbiennes, avec leurs banderoles et leurs drapeaux, bras-dessus-bras-dessous, fièrement, s’embrassaient et chantaient, tenant par la main leurs amies et/ou amantes, elles sautaient, elles dansaient, elles criaient des slogans, échangeaient des numéros de téléphone, nous applaudissaient depuis les trottoirs ou nous suivaient en voiture.
Vers 17h 20, alors que nous entrions sur le Zócalo, des membres de la sécurité du festival du Centre historique tentèrent de former un cordon devant nous. Sans nous arrêter, nous avons commencé à crier : « féminisme en avant, machisme en arrière », et ils se sont poussés.
Sur l’estrade, placée en face de la monumentale sono de l’Institut de la culture de la capitale (cette même sono qu’ils nous avaient empêché d’utiliser parce qu’elle n’était à la disposition que de Telmex et de Pepsi), avec la sono que le Comal avait pu s’offrir, Alejandra Novoa souhaitait la bienvenue à toutes les lesbiennes, pendant que d’autres femmes mettaient la dernière touche au Tapis monumental « Femmes découvertes »
Peu à peu, les lesbiennes occupaient le Zócalo devant des centaines de curieux. Le meeting politique commença, soulignant la répression et l’ignorance gouvernementale et proclamant l’autonomie du mouvement lesbien. Norma Díaz, presque aphone d’avoir tant crié de slogans, lut d’une voix rauque le document central de la Manif et nos revendications. Différentes activistes se succédèrent à la tribune. Monica Taher de Glaad déclencha les compliments ironiques des lesbiennes en annonçant : « Je viens de ce foutu pays des gringos ».
Moi-même [Mariana, de LeS VOZ], je pris le micro pour parler des dix ans de LeS VOZ : « Nous sommes ici, fières d’être lesbiennes. Nous n’avons pas de complexes », pendant que la multitude répondait à l’appel et affirmait de sa propre voix : « nous n’avons pas de complexes, nous sommes courageuses, nous sommes lesbiennes ». L’UCSC, par la voix de Mireya, reconnut comme sienne la lutte de la Manif lesbiennes : « Nous sommes ici parce que nous travaillons pour le changement social, nous vous admirons pour ce que vous faites, nous appuyons la Manif lesbienne de México, rompons les barrières, traversons les frontières ! ».
Chacune y allait de son salut, de sa déclaration. Fabiola Jiménez chanta trois chansons en luttant contre le vent et enfin, Ochy Curiel apparut sur la scène, provoquant une vague d’enthousiasme lesbien. A ce moment précis, un individu portant un badge du gouvernement apparut et nous dit : « comptez sur tout notre appui », et tandis qu’il descendait de l’estrade, la méga sono de l’Institut de la culture se mit en marche.
Il n’y avait pas grand-chose à faire, notre sono était couverte, même si Ochy dansait et motivait les lesbiennes, qui étaient toujours serrées les unes contre les autres et débordantes d’enthousiasme, en chantant ses chansons que la foule des lesbiennes reprenait en chœur. Avec la plus grande spontanéité, une femme prit le micro et dit à son amante : « Angélique, je t’aime ! », suivie d’une série d’autres femmes qui prirent le micro pour dire leur amour à leur compagne.
A 18h 30, la Deuxième Manif lesbienne prenait fin, plus tôt que prévu à cause du cirque du gouvernement.
Des droits pour les lesbiennes
La Manif lesbienne a atteint les objectifs qu’elle s’était fixés, elle a fait bouger les consciences et elle a mobilisé les lesbiennes pour réclamer leurs droits à l’égalité et au respect à la différence, nous avons exprimé nos revendications et nous avons été cohérentes.
En plein milieu du Zócalo, nous avons réclamé nos droits face aux pouvoirs qui légitiment le patriarcat : le Palais national, le gouvernement de la capitale, la Cathédrale et l’assemblée , et bien qu’ils aient tenté de nous l’interdire, nous nous sommes rendues présentes.
Je veux féliciter et serrer dans mes bras toutes les lesbiennes courageuses qui se sont rendues visibles aujourd’hui, avec qui nous avons fait nôtres les rues, avec qui nous avons fait voler en éclats les mythes et mis un terme à la stigmatisation.
Voilà le résultat de notre travail, au-delà des chiffres, parce que ce qui est important, ce sont les actes et le visage de chacune des participantes, avec leurs propositions, leurs histoires et leur vies pleines d’amour des femmes, présentes à nouveau pour exprimer notre fierté et notre force, au rendez-vous pour nous regarder dans les yeux et être conséquentes avec notre rôle historique.
Vive le mouvement lesbien, vive la deuxième manif lesbienne Mexico 2004 !