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La maternité en milieu carcéral

mercredi 31 mars 2004, par Dominique Foufelle

Périodiquement, les prisons font l’objet de discussions et de controverses entre les spécialistes. Toutefois, les débats autour des dispositifs d’enfermement laissent fréquemment dans l’ombre un élément central : la non-mixité des prisons.

Si le nombre de femmes incarcérées à toujours été inférieur au nombre d’hommes, la non-mixité des établissements pénitentiaires n’a été instaurée que dans la première moitié du XIXème siècle, dans une perspective de protection des femmes. Au 1er juillet 2003, les établissements pénitentiaires comptaient 2275 femmes pour 60963 personnes écrouées, soit un taux de féminité de 3,7%. De récentes enquêtes [1] ont permis de comprendre comment l’incarcération se répercutait sur l’entourage familial et social de la personne détenue. Ainsi, 60% des femmes détenues déclarent être mères d’enfants mineurs ou majeurs lors de leur incarcération.
Dès lors, des interrogations sur les relations qu’entretiennent les femmes incarcérées avec leurs enfants mineurs viennent à l’esprit : Comment les mères vivent-elles l’éventuelle séparation ? L’infraction commise a-t-elle des répercussions sur leurs représentations de la maternité ? Le lien dit naturel de la mère à l’enfant ne trouve-t-il pas ses limites et ses contradictions dans l’univers carcéral, puisque non seulement la prison régule ce lien, mais sanctionne des mères "dénaturées" ?
Les commentaires présentés ici sont le résultat d’une enquête [2] menée auprès de mères d’enfants mineurs, incarcérées à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, au cours de l’année 2000. Cette étude tente d’apporter des pistes de réflexion sur les usages de la maternité en milieu carcéral et d’interroger les diverses pratiques et règlements régissant les relations de la prison avec l’extérieur dont "l’enfant" est un des signes emblématiques.

Le cadre d’exercice de la maternité


Lois et règles spécifiques
Le maintien des liens familiaux est un droit pour le détenu, inscrit dans le code de procédure pénale, mais également pour l’enfant (Article 9 de la convention internationale des droits de l’enfant). Dans la réalité cependant, le maintien des liens familiaux est fragilisé par le nombre limité d’établissements ou de quartiers accueillant des femmes et l’hétérogénéité de leur répartition sur le territoire.
Récemment, les dispositions prises dans la loi du 15 juin 2000 montrent que les évolutions législatives ont pris en compte la nécessaire continuité des liens entre parents et enfants. La loi renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes élargit les conditions d’octroi de la libération conditionnelle en faveur des parents d’enfants âgés de moins de 10 ans. L’article 729-3 du code de procédure pénale prévoit aujourd’hui que "la libération conditionnelle peut être accordée pour tout condamné à une peine privative de liberté inférieure ou égale à quatre ans, lorsque ce condamné exerce l’autorité parentale sur un enfant de moins de dix ans ayant chez ce parent sa résidence habituelle".

Les liens avec l’extérieur
Les maisons d’arrêt reçoivent les prévenu(e)s et les condamné(e)s dont le reliquat de peine est inférieur à un an, ou les condamné(e)s en attente d’affectation dans un établissement pour peine. Comme dans toute maison d’arrêt, le règlement intérieur de la maison d’arrêt des femmes (M.A.F.) de Fleury-Mérogis précise les modalités concernant les relations avec l’extérieur. Le trois moyens de communication sont :
* le courrier : les détenues peuvent écrire tous les jours, sans limitation, et recevoir des lettres de toutes personnes, si ces dernières ne font pas l’objet d’une interdiction de correspondance par le juge d’instruction ;
* les parloirs : lieux privilégiés des contacts avec l’extérieur, les parloirs constituent l’élément central dans la vie des détenues. Véritable "bouffée d’air", ils ponctuent la détention et représentent un élément essentiel pour supporter l’enfermement ;
* l’association Relais enfants/parents : les enfants peuvent rendre visite à leurs parents par le biais de cette association qui se charge, entre autres, d’accompagner les enfants de parents détenus au parloir et de garantir ainsi le maintien du lien. L’association bénéficie d’un espace particulier au sein de la prison, plus grand que le parloir famille, aménagé spécialement pour l’accueil des enfants.
Les espaces-temps consacrés aux relations avec les visiteurs sont réduits, codifiés, surveillés en sorte que "l’extérieur", loin de garder ses propriétés d’extériorité est comme pour un temps intégré aux qualités de la prison. La communication se déroule toujours à travers la médiation de la prison, espace qui envahit l’extérieur.

L’état des familles


Contrairement à l’image vulgarisée de la maternité en prison, la détention n’entraîne pas automatiquement une séparation avec l’enfant. D’abord parce des enfants naissent ou rejoignent leur mère en prison et peuvent y vivre jusqu’à dix-huit mois, mais aussi par ce que pour plus de 40% des enfants, la séparation précédait la mise sous écrou. L’état de la situation familiale avant l’incarcération de la mère influe fortement sur le maintien de la relation mère/enfant pendant la détention. L’incapacité des femmes à élever leurs enfants est le premier facteur d’explication de cette séparation antérieure. Cette incapacité peut être due à des problèmes de toxicomanie des mères, à leur mode de vie (prostitution, sans domicile fixe,…), à des troubles psychiatriques, à des incarcérations antérieures. Mais l’antériorité de la séparation peut également être liée à des problèmes d’immigration (femmes vivant en France en attente de titre de séjour ou "passeuses" arrêtées à la frontière).
Fréquemment marqués par la rupture d’avec leurs enfants, les parcours de vie des femmes rencontrées sont aussi empreints de précarité. Ces femmes font état, pour la quasi-totalité d’entre elles, d’une enfance difficile ponctuée de rapports conflictuels entre leurs parents, et d’expériences traumatisantes (séparations, placements, viols). Beaucoup ont eu du mal à se situer dans ces contextes familiaux très déstructurants.
À l’âge adulte, les conditions de vie de ces femmes sont caractérisées par une précarité sociale, affective, sanitaire et économique. Ainsi, la violence conjugale fréquemment évoquée est l’exacte réplique de la violence entre les parents. Lorsque les détenues parlent de la violence physique de leur partenaire, elles les présentent, tout comme leurs propres pères, au travers des traits qui pour elles caractérisent le masculin : alcoolique, cavaleur et violent. Mais l’alcoolisme et la toxicomanie ne concernent pas uniquement les hommes avec lesquels elles vivent. Elles sont elles-mêmes consommatrices d’alcool et de drogue, même si elles ont souvent du mal à reconnaître et accepter ces comportements addictifs. D’autre part, la grande majorité des femmes interrogées ne travaillaient pas durant la période précédant leur incarcération ou avaient des emplois précaires et instables. Peu qualifiées, certaines vivaient ponctuellement d’emplois intérimaires. Les autres vivaient des revenus de leur mari, des allocations, de la délinquance, voire de la prostitution. Enfin, au-delà des femmes incarcérées dans le cadre de crimes sexuels, la violence proprement sexuelle est un thème récurrent.

Maternité et détention


La prison jette un discrédit total sur les détenues, tant dans leurs relations sociales que dans la perception de leur identité personnelle. Dans ce cadre, le statut maternel reste leur seul repère stable et la place des enfants devient alors prépondérante dans leur quotidien (activités centrées sur l’enfant, photographies omniprésentes…). Mais la référence à l’enfant est également l’élément qui permet aux mères de se projeter au-delà de la prison, et d’envisager une sortie centrée autour de lui. De ce fait, l’enfant permet aux mères de maintenir une identité individualisée, distincte de celle des autres détenues.
Quelle que soit l’infraction commise, la description valorisante de la relation mère/enfant ne varie pas. Lorsque les femmes parlent de leurs grossesses et de leur maternité, toutes décrivent une maternité heureuse insistant sur les notions d’écoute et d’amour. L’absence de l’enfant est toujours vécue comme une réelle souffrance, voire une injustice. Si cette présentation de l’image de la "bonne mère" est systématique, les ressentis ne sont pas les mêmes en fonction de l’infraction, notamment lorsque l’on s’attache à étudier les notions de culpabilité et de déni.
Le sentiment de culpabilité est très présent chez l’ensemble des mères, mais il est d’autant plus fort lorsqu’elles sont incarcérées pour des motifs ne concernant pas l’enfant et qu’elles n’étaient pas séparées de ce dernier avant l’incarcération. Ces femmes ne sont pas dans le déni de leurs actes, car ils ne remettent pas en cause, dans la représentation qu’elles ont d’elles-mêmes, leurs capacités maternelles. Elles expriment du remords, car elles font "payer" à l’enfant leurs erreurs. Elles tentent de se racheter et de marquer leur présence en leur envoyant des cadeaux, des lettres…
Lorsque les faits mettent en cause l’enfant, le déni est très fréquent. Les mères sont alors incapables d’assumer leurs actes, car ils les renvoient immédiatement à une image maternelle inversée, qui les déstabilise dans leur identité propre. Nous prendrons, pour illustrer notre propos, deux exemples. Les femmes écrouées pour violences quotidiennes sur leur enfant mineur tout d’abord ne remettent pas en cause l’image d’une maternité glorieuse. Dans chacun des récits entendus, les violences n’avaient lieu que sur l’un des enfants. Ces "boucs émissaires" avaient, dans l’histoire familiale, une place particulière qui avait rendu la relation mère/enfant déficiente, car non conforme aux attentes maternelles. Les mères avaient été dans l’impossibilité de nouer une relation mère/enfant, car elles ne pouvaient projeter sur leur enfant l’image de l’enfant idéal qu’elles s’étaient faite. Lorsqu’elles racontent leur histoire, ces mères montrent qu’elles sont dans un déni total des faits et de leur gravité. Elles ne présentent aucun signe de culpabilité, puisqu’elles exercent leur devoir maternel sur les autres enfants. Les infanticides quant à eux relèvent d’un profond désespoir, plus que l’expression d’une maternité non assumée. Pour les femmes que nous avons rencontrées, les faits se situent dans une période d’instabilité liée à une violence psychologique infligée par des hommes. Elles avaient attenté à leur vie en même temps qu’à celle de leurs enfants. L’infanticide ne remet pas en cause, à leurs yeux, la qualité de la relation qu’elles entretenaient avec leurs enfants, et elles brossent ainsi un univers de relations éducatives satisfaisantes et beaucoup plus précis que celui des mères ordinairement violentes. Mais la réalité étant trop dure à assumer, ces femmes se plongent alors dans un déni "conscient" de leurs actes.
En prison, comme dans la société, une hiérarchisation des faits selon leur gravité est effectuée par les détenues et les crimes sur enfants sont les plus sévèrement jugés. Cette distinction entre codétenues permet de graduer le statut de "mauvaise mère" en fonction des actes commis, de se distinguer des autres. Les "mauvaises mères" sont désignées et discréditées, et ce stigmate joue fortement dans les rapports quotidiens entre détenues et conduit les mères bannies à minimiser leurs actes. Ainsi, quels que soient les actes commis sur l’enfant, le déni devient alors la seule stratégie pour être acceptée dans le milieu carcéral, et pour s’accepter.

Conclusion


En raison de la construction sociétale des représentations de la maternité, cette dernière revêt un caractère immuable et "naturel" auquel les détenues se raccrochent. Dans le monde clos de l’univers carcéral, les mères se forgent et en construisent, pour l’autre et pour elles-mêmes, une maternité glorieuse. La fuite dans l’imaginaire ou le déni de leurs actes et la revendication de la bonne mère le soulignent : ce qui apparaît comme un paradoxe n’est en fait que le résultat de conditions familiales et sociales et de conditionnements sociaux. Lorsqu’on analyse le parcours des femmes incarcérées, on s’aperçoit que la majorité d’entre elles méconnaît les lois sociales fondamentales, car elles ont subi une déficience des mécanismes de socialisation dès leur plus jeune âge les ayant conduit à vivre dans une précarité sociale, affective, sanitaire et économique très marquée [3]. L’univers familial de l’enfance, qui reste celui de référence et de construction de soi, n’est pas contrebalancé par l’influence scolaire (elles ont quitté l’école très tôt). Ces femmes reproduisent alors dans leurs rapports conjugaux et parentaux la violence inhérente à leur enfance, montrant bien que le lien mère/enfant, prétendument "naturel", est finalement un lien socialement construit, auquel certaines femmes sont incapables de s’identifier.
Dans cette configuration, la société présente un déficit de repérage des difficultés par les structures sociales et éducatives qui a conduit ces femmes à la prison. De même, l’univers carcéral aménage et réglemente la relation mère/enfant, sans voir que cette relation doit être resocialisée, c’est-à-dire faire l’objet d’une formation au statut de mère. Tout se passe comme si la prison, comme l’ensemble de la société, pensait la relation mère/enfant dans le registre de la nature, alors qu’elle suppose au préalable la construction sociale de soi.

Cet article est paru dans la Lettre de Genepi n°64, septembre/novembre 2003.

P.-S.

Juliette Laganier [4] – automne 2003

Notes

[1] Crédoc, "L’autre peine" : enquête exploratoire sur les conditions de vie des détenus, Cahier de recherche n°147, Paris, novembre 2000. Insee, Histoire familiale des hommes détenus, Synthèses, n°59, Paris, janvier 2002.

[2] Juliette Laganier, Les usages de la maternité en milieu carcéral – Le cas des mères incarcérées à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, Mémoire de DEA, EHESS, 2002.

[3] L’enquête OSC/Fnars "Détresse et ruptures sociales" menée auprès de personnes accueillies dans les services d’accueil, d’hébergement ou d’insertion, met en exergue l’importance des liens de filiation, d’intégration et de citoyenneté dans les parcours individuels.

[4] Juliette Laganier est responsable du pôle justice-femmes à la FNARS

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