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Yémen : une opportunité à saisir

mercredi 31 mars 2004, par Sylvie

La société yéménite connaît une période de transition qui va être décisive pour les femmes. Elles sont aujourd’hui confrontées à deux mouvements contradictoires : la libéralisation politique menée par l’Etat, qui leur accorde de nombreux droits, et la force des traditions, renforcées par la montée du fondamentalisme, qui les enferme dans la sphère privée. C’est le moment de saisir les opportunités qu’offre la démocratisation pour s’imposer comme citoyennes à part entière.

Le Yémen réunifié est un Etat grand comme la France, situé au sud-ouest de la péninsule Arabique. Pays de la légendaire reine de Saba, ses riches caravanes porteuses de myrrhe et d’encens, et la verdure de ses cultures en terrasse lui ont valu le surnom d’Arabie Heureuse. Loin de ce mythe enchanteur, le Yémen contemporain doit pourtant faire face à une situation difficile. Contrairement à ses voisins, il ne possède pas de ressources pétrolières importantes et, de ce fait, il est aujourd’hui le plus pauvre des pays de la ligue arabe.

Une modernisation politique et sociale depuis 1962

Après une longue période d’isolement total et de rigorisme (interdiction par exemple des chants autres que religieux), le Yémen tente de se moderniser à partir des années 1960. En 1962, le Yémen du Nord se débarrasse de son imam et la république est proclamée. C’est à partir de ce moment que s’ouvrent les premières écoles pour filles. On estime qu’à cette époque, 80 % des hommes étaient analphabètes et quasiment 100 % des femmes. Le Yémen du Sud devient indépendant à la même époque. Il se libère de la tutelle britannique en 1967 et installe un gouvernement marxiste (seul cas d’Etat arabe communiste). De ce fait, dans cette région, ayant pour capitale Aden, la femme a toujours eu une liberté beaucoup plus grande qu’au Nord. En 1990, les deux Etats se réunissent pour ne constituer qu’une seule " République du Yémen ".
Ces efforts d’ouverture et de modernisation (même relative) depuis 40 ans ont permis une amélioration des conditions de vie. Selon le PNUD, l’espérance de vie est passée entre 1990 et 1999 de 46 à 60 ans. La mortalité infantile a baissé de 15 % et la mortalité avant 5 ans de 31 %. Malgré tout, le Yémen partait de tellement loin qu’en dépit de ces progrès, il demeure un des pays les moins développés au monde (148e pays sur 174 selon le taux de développement humain du PNUD).
Malgré cette situation de forte pauvreté, le Yémen présente une ouverture politique étonnante. Il faut tout d’abord noter qu’il s’agit de la seule république de la péninsule Arabique. Les femmes ont le droit de vote depuis 1967, des élections son organisées à tous les niveaux (local, législatif et présidentiel) et le multipartisme est reconnu. Dans cet effort de libéralisation politique, la loi reconnaît de nombreux autres droits aux femmes. Le problème majeur est de les mettre en application dans la vie quotidienne.

La lente application des droits acquis

La constitution actuelle de 1991 reconnaît la femme comme étant l’égale de l’homme devant la loi. Ainsi, contrairement aux Etats islamistes, les femmes au Yémen ont le droit de travailler, d’aller à l’école, de sortir dans la rue seules ou accompagnées de qui bon leur semble. Si elles ne le font pas toutes, ce n’est pas sous la contrainte légale mais sous la contrainte sociale. Mais le droit yéménite prend aussi ses sources dans le droit tribal et la charia. De ce fait par exemple, les châtiments physiques ne sont pas officiellement abolis. (Dans la pratique, ils semblent cependant pratiquement abandonnés.) De plus, même si la constitution reconnaît des droits aux femmes, soi-disant égaux à ceux des hommes, elles sont toujours considérées devant un tribunal ou pour une succession comme la moitié d’un homme.
L’opposition entre droits et coutumes est particulièrement forte en ce qui concerne la pratique des mariages. Selon la loi, aucun mariage ne peut être fondé sur la contrainte et l’âge minimum pour se marier est de 15 ans. De nombreuses filles sont cependant toujours mariées à partir de 12 ans dans des conditions arrangées par les familles. Le système de la dot qui perdure au Yémen contribue à maintenir cette contrainte sur les filles : c’est à l’homme de payer quelque chose à sa belle-famille et celle-ci est donc tentée d’organiser le mariage au plus tôt, particulièrement dans les villages. Par contre, si les femmes peuvent toujours être répudiées en deux mots, elles ont aussi le droit de demander le divorce et ne s’en privent pas. Lorsque le mariage est rompu, la femme garde les enfants et peut aussi avoir des réparations matérielles, si le juge estime qu’elle a été répudiée sans motif raisonnable. Mais cette évolution est ralentie par un durcissement de l’islam, sous l’influence de l’Arabie Saoudite.

Hommes et femmes : deux mondes en parallèle

La vie urbaine au Yémen est organisée de façon à ce que les hommes et les femmes se côtoient le moins possible. Certaines femmes ne sortent jamais de chez elles, leurs maris préférant faire le marché eux-mêmes plutôt que de les laisser sortir. Lorsqu’une famille invite des ami-e-s, les hommes et les femmes se réunissent dans deux pièces différentes. Pour les mariages mêmes, deux cérémonies différentes sont organisées. Ce cloisonnement est maintenu dans la rue par le vêtement des femmes. Elles portent une grande robe, un foulard sur les cheveux et un voile sur le visage, ne laissant paraître que les yeux. Le tout est noir.
Comme l’explique Rhadija al Salami, conseillère culturelle à l’ambassade du Yémen à Paris, ces habitudes ne font pourtant pas partie des traditions yéménites et ne sont aucunement dictées par la loi. Elles sont une illustration d’un durcissement religieux. Alors que l’on estime que le premier voile serait apparu au Yémen au XVIIe siècle lors de la colonisation ottomane (les riches Yéménites auraient voulu imiter les belles Turques), avant les années 1960, seules les femmes des grandes villes se voilaient. A la campagne, elles portaient des robes colorées et des bijoux, vivaient et travaillaient naturellement avec les hommes. Dans le sud, et particulièrement à Aden, du fait de la colonisation britannique, les femmes étaient beaucoup plus libres et, jusqu’en 1990, les jupes pouvaient être très courtes. Aujourd’hui pourtant, pour de nombreuses jeunes femmes, le voile noir est le symbole de leur foi et elles ne cherchent pas à le remettre en question.
Rhadija al Salami estime que les causes de cette transformation sont doubles. D’une part, les très nombreux Yéménites qui étaient partis travailler en Arabie Saoudite sont revenus dans les années 90 avec des idées très radicales sur l’islam et ont obligé leurs femmes à se vêtir de noir. D’autre part, le développement des routes et des moyens de communication fait que peu de régions sont restées dans leur isolement et que la campagne subit donc de plus en plus les coutumes urbaines.
Selon Ibtissam al Moutawakel, importante figure de la cause féminine à Sanaa, il faut au contraire profiter de cette ouverture comme d’une chance. Pour cette mère divorcée, à la fois poétesse, journaliste et membre de la fédération des écrivains yéménites, les échanges culturels et la reconnaissance de leurs diversités serait un moyen de limiter la radicalisation actuelle. Etant aussi répétiteur de langue arabe à l’université de Sanaa, Ibtissam insiste aussi particulièrement sur la nécessité pour les femmes de s’instruire.

Des espaces mixtes à conquérir

Effectivement, alors que les femmes ont le droit d’aller à l’école et à l’université et qu’elles ont la capacité de se faire embaucher, elles restent encore très rares dans la sphère publique.
Le taux de femmes adultes illettrées est aujourd’hui de 65 % (le taux global est de 50 %). En 1999, encore 56 % des filles en âge de fréquenter l’école primaire n’y allaient pas (contre 69 % en 1995, chiffres du PNUD). Le poids des traditions, le travail des filles auprès de leur mère, le problème de l’isolement des villages et le manque de professeurs féminins sont autant d’obstacles à une scolarisation massive des filles. L’éducation est pourtant le seul moyen de faire évoluer la situation des femmes, pour qu’elles connaissent leurs droits et puissent les revendiquer.
Dans les grandes villes, le nombre de filles à l’université est tout de même assez important. Là, elles côtoient les garçons et ont souvent de meilleurs résultats qu’eux. Mais la très lente évolution des mentalités fait que même là, la majorité des filles n’ont pas d’ambition de carrière. Leur but premier reste souvent le mariage, et pour trouver un bon parti, l’université est assez pratique. La plupart ne travailleront pas, alors que pour les postes sans responsabilités, les femmes sont embauchées assez facilement. (Elles sont par contre très peu représentées dans les postes décisionnels.)
Quelques femmes ont pourtant osé s’opposer à leurs familles pour poursuivre des études et ensuite travailler. Malgré le refus initial de leurs familles, ces femmes ont ouvert la route et sont aujourd’hui un modèle pour les jeunes filles qui espèrent la liberté. C’est le cas de Mme Amat al Alim al-Sousoua, l’actuelle ministre des droits humains. Elle a fait ses études au Yémen, puis au Caire et aux Etats-Unis, et fut la première femme ambassadrice. C’est aussi le cas de Mme Khadija al Salami, cinéaste, en poste actuellement au service culturel de l’ambassade du Yémen à Paris. Elle souhaite notamment étudier dans son travail l’intégration des femmes à la vie publique, et particulièrement dans la vie politique. Effectivement, malgré le droit de voter et d’être élues, les femmes sont peu représentées. En 2001, 36 femmes ont été élues lors des élections locales, en 1997, elles étaient deux à devenir députées, et il n’y en avait plus qu’une en 2003, élection pour laquelle 43 % des femmes seulement avaient participé. Selon Mme al Salami, les partis politiques ne font pas d’effort pour améliorer cette situation, « c’est seulement avant les élections qu’ils se rappellent que les femmes existent et qu’elles votent ». Seules quelques associations et organisations de femmes essayent de faire entendre leur voix. C’est bien aujourd’hui à elles d’agir pour accompagner la transition vers une démocratie, pour que les femmes y aient toute leur place.

P.-S.

Sylvie Lefebvre - mars 2004

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