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Femmes pour la paix et la justice en Haïti

mercredi 31 mars 2004, par Laurence

A l’heure où les « rebelles », ayant occupé des villes du nord d’Haïti dont le Cap Haïtien deuxième ville de la République, s’apprêtent à rentrer sur Port-au-Prince, et que les écrans du monde entier retransmettent les images d’un pays livré au chaos et à la violence armée, violence exercée par des acteurs exclusivement masculins, il est nécessaire de rappeler quelques points clés de l’histoire des femmes haïtiennes au XXème siècle.

A la fin d’une occupation américaine qui aura duré de 1915 à 1934, les femmes fondent la Ligue Féminine d’Action Sociale, organisation féministe qui vise à l’amélioration des conditions de vie économiques, sociales et politiques de la femme haïtienne. Le mouvement, parti de Port-au-Prince gagne la province où des antennes actives oeuvrent dans plusieurs villes d’Haïti. De 1934 à 1950 les femmes haïtiennes dialoguent avec le féminisme international (correspondance, congrès, articles dans la presse étrangère) et obtiennent entre autres le droit de vote pour toutes et le droit d’être éligible.

le début d’un très lourd tribut

Mais dès 1957 la première victime connue de Fançois Duvalier fut une membre de la Ligue Féminine, Yvonne Hakim Rimpel, journaliste à La Voix des Femmes et directrice de son propre journal, "l’Escale". Elle sera violée par neuf individus armés qui deviendront les sbires du duvaliérisme. De nombreuse femmes devront prendre le chemin de l’exil, beaucoup seront torturées et assassinées ou disparaîtront dans les geôles du régime, notamment dans la célèbre prison du Fort Dimanche. Ce seront des années d’un silence obligé quasi général et le mouvement des femmes devra attendre la chute du duvaliérisme pour retrouver sa force et ses outils de travail.

La renaissance

En 1986, avec le départ de Jean-Claude Duvalier, exilé grassement alourdi de 900 millions de dollars US et trouvant asile en France, les femmes haïtiennes dans un état de grande pauvreté reprennent le droit à la parole, s’expriment dans les médias, radio et télévision notamment. Des organisations de femmes se multiplient à travers le pays. Toutes classes sociales confondues, les femmes manifestent pour la justice, la préservation de l’environnement, leur droit à l’alphabétisation et à l’instruction, leur droit à la santé car elles veulent fermement participer à l’instauration de la démocratie. Elles retrouvent leur mémoire, le féminisme renaît, et les féministes participent à nouveau aux réseaux du mouvement international, suivent la route des grandes conférences internationales, continuent le travail d’information des femmes.

Il convient de remarquer que malgré la répression exercée par les militaires au pouvoir de 1986 à 1991, le général Namphy, le Général Prosper Avril…, sur le secteur démocratique et le travail des organisations d’une société civile en construction, la voix des femmes ne s’est jamais plus éteinte, et ce malgré le fait que nombre d’organisations de femmes de structuration fragile aient disparu sous la brutalité des vagues successives de répression.

Une répression d’une violence innommable

La participation des femmes à l’élection démocratique de Jean-Bertrand Aristide est considérable. Elles le payeront très cher. Le coup d’état du Général Cédras, survenu six mois plus tard exerce une violence sans précédent sur la communauté des femmes. De l’âge de 4 ans à 74 ans des femmes sont violées pour leur participation politique favorable à l’élection d’Aristide ou pour leur lien de parenté avec des militants pro-aristidiens. Le viol est utilisé comme arme politique à grande échelle sur le plan national. En septembre 1991, des femmes blessées par balles remplissent des chambres entières à l’Hôpital Général de Port-au-Prince. La violence est telle alors que des militaires achèvent les mourants à la morgue.
Le mouvement des femmes persévère dans la voie de la construction de la démocratie et supporte un embargo et des négociations internationales qui sont une trahison puisque les militaires continuent à être approvisionnés en nourriture et en armes tandis que l’immense majorité de la population féminine aux foyers essentiellement monoparentaux doit faire face à l’alimentation d’une moyenne de 5 enfants par femmes.
Leur misère s’accroît, les soins de santé diminuent, le sida suit chez elles implacablement une courbe croissante, la violence sexuelle en étant un des principaux facteurs.

Le retour de président Aristide accompagné de 20 mille hommes de la force multinationale ne soulage en rien les femmes. Bien au contraire, il arrive que les médecins de l’Hôpital Général soient contraints devant les abus sexuels dont sont victimes jeunes filles et femmes plus âgées de publier un communiqué menaçant de démissionner si de telles violences devaient se perpétrer encore.
Ici il convient de souligner un moment crucial dans l’augmentation sans précédent du taux de violence exercé sur les femmes par accumulation et banalisation de toutes sortes d’actes de violences et de viols. Le président Aristide qui représentait l’espoir démocratique avec sa trilogie auquel tous souscrivait : Justice, Transparence, Participation, ignore complètement à son retour la souffrance des femmes qui avaient accepté et supporté tant de frustrations, d’humiliations et de violences au nom de la démocratie, Aristide va jusqu’à s’entourer de ceux-là même qui avaient supporté, voire financé le coup d’état. La communauté internationale sollicite la réconciliation mais n’exige pas la justice. Aristide qui avait dès le 8 mars 1991 poussé les femmes à ce qu’il appelait leur « beau mariage avec l’armée », a fait semblant d’ignorer que cette armée les avait tant violées et écrasées. Aristide a son retour d’exil en 1994 a fait le choix de l’impunité pour Haïti, sans respect pour les droits des femmes, sans respect pour la mémoire de son ministre de la Justice Guy Malary criblé de balles avec ses gardes du corps en 1992 à la sortie de son travail.

Le silence

Aujourd’hui, et bien que des féministes réunies pour la Défense des Droits des Femmes ( le CONAP) affrontent la violence et soient à l’ avant-garde pour exiger un changement politique et l’instauration d’une société juste, l’immense majorité des femmes haïtiennes est condamnée au silence et doit subir la terreur des forces armées des chimères d’Aristide, de ses opposants, auparavant ses hommes de mains et armés par lui, auxquels sont venus se joindre les militaires anciennement destitués par lui et les membres du sinistre mouvement FRAPH qui a opéré tant de violations des droits humains et de viols des femmes durant la période du coup d’état de Cédras de 1991 à 1994.

Engageons-nous

Parce que 4,5 millions de femmes haïtiennes ne mangent pas à leur faim et n’ont pas de quoi nourrir leurs enfants.
Parce que 4 millions de femmes voient tous les jours leurs droits reproductifs bafoués.
Parce que des centaines et aujourd’hui des milliers de femmes ont été violées et battues ces dernières années en Haïti.
Parce que les violences contre les femmes et le viol ayant été banalisées en toute impunité, chaque femme haïtienne est impuissante devant cette avalanche d’armes débarquées en Haïti et qui à n’importe quel moment peuvent détruire la vie d’une femme par le viol et l’assassinat sans que nous autres femmes nous ne puissions actuellement obtenir justice.
Parce que nous sommes fatiguées de rassembler des données ; de produire des dossiers pour la défense de nos droits pour ne jamais aboutir à ce que nos agresseurs le plus souvent armés soient jugés et punis selon la loi.
Parce que notre pays appauvri ne produit pas d’armes et ne pouvant assurer une économie qui fasse vivre femmes, enfants et pères dans la dignité, il est indécent que les femmes haïtiennes soient écrasées sous la menace des armes hyper sophistiquées de l’occident avec leur cortège d’horreurs quotidiennes qui conduisent à la destruction de notre société.
Parce que nous autres femmes avons toujours travaillé à construire et non à détruire, et parce que la population féminine haïtienne est actuellement une population en état de choc qui doit se battre chaque jour contre la misère, l’absence d’eau, d’électricité, de soins maternels, contre la répression politique, la violence domestique, les viols, la précarité, l’insalubrité et l’insécurité de l’habitat, et plus que jamais contre la menace des armes, en ce 8 mars 2004, engageons-nous, femmes haïtiennes vivant hors d’Haïti, en Europe, aux USA, au Canada, en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, femmes françaises, italiennes, espagnoles et de toute l’Europe, femmes africaines de tous les pays d’Afrique, femmes de la Colombie, du Pérou, du Brésil et de toute l’Amérique latine, femmes du monde entier qui luttez pour un monde de vie et non de mort, non pour la destruction mais pour la Paix, et vous toutes qui savez qu’il n’y a pas de Paix sans justice, joignons nos volontés, nos talents, notre expérience, notre compétence, pour construire une organisation internationale en solidarité avec les 4,5 millions de femmes haïtiennes aujourd’hui opprimées.
VIVE LA PAIX PAR LA JUSTICE !

P.-S.

Clorinde Zéphir
Féministe haïtienne, enseignante
Montreuil, le 8 mars 2004
Organisation internationale des femmes pour la Paix par la Justice en Haïti - Contact : clozephir@yahoo.fr

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