La Fondation pour l’entreprenariat et le développement, née en 1997 compte aujourd’hui 10 salariées, essentiellement des juristes, et travaille principalement sur le développement local et régional, le « semi-développement » et l’entreprenariat féminin. Elle publie des études sur, par exemple, la situation des femmes en Bulgarie, met en place des évaluations des différents projets et programmes, dont le programme européen Phare, axé, dans le cas présent, sur le développement durable dans les zones rurales et la transparence de l’administration pour lutter contre la corruption et organise des formations pour les chômeuses. Le programme Phare s’attelle en effet au marché du travail et à l’inclusion sociale et engage le gouvernement dans l’aide aux femmes à se qualifier et à trouver un travail. Par ce biais, de petits fonds sont donnés aux femmes qui veulent démarrer une activité économique. Cela concerne aujourd’hui 80 femmes dans plusieurs régions de Bulgarie. L’Ong met également en place de petits projets pour les personnes exclues : Roms, personnes handicapées, …
Selon Elena Krastenova de la Fondation, le nouveau programme national qui propose un mécanisme visant à réduire le chômage reste très peu efficace car il s’adresse à des populations peu éduquées. Or, le paradigme de ce pays, comme tous ceux de la région, réside dans le fait que les gens (la génération des 30 ans et plus) sont très qualifiés, mais ne trouvent plus de travail. Dans cette période de transition, ils sont devenus des consommateurs avant tout, sentent le besoin de « se caser », d’avoir de l’argent et sont donc très attirés par l’émigration d’où une fuite certaine des cerveaux. Pour ceux qui restent, et en particulier les femmes, le modèle est de « devenir secrétaire » confirme Elena Krastenova. Concernant l’entreprenariat, des barrières existent au niveau légal. Il existe par exemple une loi contre les discriminations et avec l’élargissement européen, « on peut imaginer que de nouveaux marchés vont s’ouvrir ». Là encore, intervient une contradiction. La privatisation, la suppression des services publics, devrait représenter une nouvelle niche. Mais « nous n’avons pas la culture du business », avoue la juriste, « ce qui ralentit le processus ».
Commerce équitable ou humaniste ?
D’autres niches éclosent. Parmi elles, le commerce équitable. De plus en plus de personnes exclues du marché du travail, se retrouvent à « bricoler » chez elles, renouant avec des métiers d’artisanat traditionnel : tissage, broderie, poterie… mais surtout créant les bases d’un marché informel. Le marché n’existe pourtant pas vraiment. Seule perspective, le tourisme qui demeure le miroir aux alouettes. Ainsi la Galerie Traditzia (tradition), au cœur de Sofia, présente dans un décor alléchant des produits plutôt haut de gamme, à des prix hors du commun bulgare, afin d’attirer la clientèle étrangère. Pari pour l’instant non autosuffisant mais qui mérite qu’on s’y attarde. Selon Maria Apostolova, il s’agit tout d’abord d’une action humanitaire : « nous voulons aider les personnes en difficulté dans les zones rurales, les handicapés, les femmes seules, les minorités ethniques, les nouveaux artisans… et développer l’image de l’art traditionnel bulgare pour le tourisme ». Voilà qui est planté. Traditzia, créée par l’ambassadeur de Grande-Bretagne en 2001 (ouverture officielle de la galerie en avril 2002), est aujourd’hui une fondation, également soutenue par le Pnud (agence onusienne pour le développement). Elle vend des produits d’artisanat dans un but social et organise des formations d’appui à la création d’entreprises. Mais s’agit-il vraiment de commerce équitable ? Leur politique de recrutement : des bénévoles vont chercher des producteurs dans les régions ou certains se présentent par eux-mêmes. Les produits sont alors minutieusement examinés par un comité de sélection, assez rigoureux : « nous voulons des produits uniques ». Leur politique de redistribution : les gens ne sont pas payés à l’avance, leurs matières premières non plus. Ils ne sont payés que si le produit est vendu selon un prix décidé par le comité. Le pourcentage de reversement est également décidé par ledit comité… On est loin de tout concept de redistribution des richesses et de rapport égalitaire producteur/diffuseur.
Produire et vivre : une gageure
Dans sa petite boutique de 20m2, au creux d’une galerie souterraine de métro (ce qui est le plus fréquenté à Sofia), Lalka Krumova Iliena essaie quant à elle de vendre ses produits de tissage traditionnel : tapis, sacs, oeuvres d’art… et ceux de ses quatre voisines de village de la région de Chiprovtzi. Bien qu’elle vende aussi des produits purement touristiques (cuillères en bois, poupées, icônes orthodoxes…), elle ne s’en sort pas. Elle vend un tapis de 30 centimètres sur 30, 35 Levs (17,5€), prix qui correspond selon elle à trois fois le prix des matières premières. De fait, plus généralement, elle fixe le prix selon la clientèle… qui est bulgare, ce qui en dit long. Or, la boutique lui coûte 440€ par mois ! Si on effectue un calcul simple, il faudrait donc qu’elle vende au moins 25 petits tapis par mois, soit un par jour ouvrable. Non seulement ce n’est pas le cas, mais côté production, c’est impossible. Il faut à la tisserande une journée pour « monter » 10 centimètres de tapis sur une largeur d’un mètre… Par ailleurs, elle n’a pas de relais qui pourrait faire sa promotion. Seuls restent donc les passants du souterrain qui de temps à autre commandent un tapis.
Imposer des politiques de genre
L’Alliance des femmes pour le développement (Wad, Women’s alliance for development), soutenue par Novib (Pays-Bas), UsAid, l’Union européenne…, est une organisation parapluie. Née en 1996, elle regroupe plusieurs organisations qui partagent les objectifs de créer les moyens d’un développement durable pour d’égales opportunités hommes/femmes au niveau des groupes de base. A cet effet, l’organisation développe des activités d’information, de formation, de réseau à l’intérieur du pays. Ainsi, 200 organisations sont concernées par l’activité de formation : sur le genre, la commercialisation, l’organisation interne, le trafic sexuel... Un centre de documentation permet également à quiconque de consulter toute documentation relative aux 12 points de la plateforme de Pékin. Mais, un des axes majeurs de l’Alliance reste l’indépendance économique. Selon Pavlina Filipova, « l’économie est le moyen d’éradiquer la pauvreté et de donner des moyens aux femmes ». Le réseau aide donc les femmes et leurs familles à créer leur propre emploi. Parallèlement, il entend mener des campagnes contre le trafic sexuel, organisant des formations en direction des jeunes leur apportant des outils pratiques pour trouver du travail. « La notion d’initiative a été tuée dans ce pays depuis quarante ans, et cela à cause du communisme », affirme Pavlina Filipova. Il existe donc non seulement des barrières administratives mais aussi politiques. Wad entend ainsi impliquer les autorités locales, dans le cadre de la politique de décentralisation. Un premier succès : l’organisation a obtenu l’accord de municipalités qui se sont engagées à donner des locaux à vocation entreprenariale pour une durée de dix ans. Par ailleurs, membre de Groots, qui regroupe des homologues d’Inde, Allemagne, République Tchèque, Russie, Turquie, Wad entend proposer aux femmes des groupes de base de partager leurs expériences à l’international. Un bon début.
Vers une économie solidaire ?
Selon l’économiste Katia Vladimirova de l’Université d’économie nationale et mondiale, « la Bulgarie est passée très vite de l’emploi à plein temps garanti, à un emploi et une embauche fortement limités, et parallèlement, à une augmentation des licenciements et du nombre de chômeurs. Dans cette nouvelle configuration, les femmes sont les plus touchées : elles restent au chômage plus longtemps et ont plus difficilement accès au monde du travail ». Le contexte de transition, puis l’actuelle donne, demandent à repenser la situation en termes économiques et pas uniquement sociaux, le tout d’un point de vue féministe, pense-t-elle. D’où son intérêt croissant pour les préceptes de l’économie solidaire : répartition égale des richesses, produit intérieur doux, indicateurs de richesse autres que financiers… Une appréciation qu’il ne faut pas négliger dans un concept global de « rattrapage », de course à l’accès au marché du travail, un marché du travail européen élargi qui n’est plus vraiment à l’ordre du jour. Alors, comment en Bulgarie, former les bases d’une réflexion mais aussi d’actions vers la construction d’alternatives économiques ? Le terreau est bien là, il ne reste qu’à semer et à faire mûrir.