Joëlle Palmieri : Partout où se passent les forums sociaux ou autres contre-sommets, les gens ne sont jamais au courant, jamais intéressés, et personne ne leur adresse quoi que ce soit. La première fois où c’est arrivé, c’était à Dakar au Sénégal pendant le Sommet pour l’annulation de la dette, où il y avait des gens fort prestigieux, fort intéressants, et les habitants de Dakar n’étaient pas du tout au courant de la tenue de cet événement, qui quand-même les concerne particulièrement. Et a commencé à naître cette idée : pourquoi ne pas aller discuter avec les gens de là où ça ce passe, des débats qui les concerne au premier chef. C’était juste avant le premier Porto Alegre, en décembre 2000. Porto Alegre, le premier, c’était un peu différent car c’est très « Porto Alegre », en ce sens où la population, avec la démocratie participative, est plus ou moins habituée à participer à des rencontres, au moins locales, sinon des débats sur ce qu’on peut faire ensemble. La première, j’étais complètement émerveillée, je me disais « quelque chose est possible, un autre monde est possible vraiment ». On (Les Pénélopes) faisait le même travail : on est dans le forum, dans les débats, et on est à l’extérieur, on filme et on rencontre les gens.
Le deuxième forum social mondial était pour moi une horreur, ça commençait déjà à s’institutionnaliser c’est-à-dire qu’il y avait des stars, des représentants de mouvements qui parlent, et redisent la même chose d’une année sur l’autre. La première année il y avait 40 000 personnes au forum social mondial, la deuxième 120 000 et là les gens, certes étaient au courant car il y avait plein de monde dans la rue, dans les taxis, etc., mais ne savaient pas de quoi on parlait. Donc l’institutionnalisation, ça se voit de l’extérieur et de l’intérieur, car ce sont toujours le mêmes qui prennent la parole. Ce qui m’a complètement déconcertée, est le forum social européen à Florence. Des militants entre eux, sans aucune incidence sur un quelconque mouvement ou une quelconque association dans Florence, hormis les jeunes, et encore, les jeunes venaient au forum pour assister, plus que pour participer. Bref, on a commencé à réfléchir : « nous, qu’est ce qu’on fait là-dedans, à quoi ça sert ? en tant que féministes, et qu’est ce qu’on peut apporter ? ».
Au troisième forum social mondial, on a décidé qu’il y en aurait quelques-unes qui iraient, dans la place, dedans, et qu’il y en avait qui n’iraient pas, par choix, et qu’on allait affirmer qu’on faisait exprès de ne pas y aller. Et on a organisé ce qu’on a appelé des débats croisés, c’est-à-dire que l’on a mis une douzaine, voire une vingtaine, de villes en connexion simultanée, pas par satellite, parce qu’on n’en a pas les moyens, par e-mail. On a organisé le fait qu’un même débat qui soit sur un même sujet, qui portait sur la démocratisation des forums, se fasse en même temps dans les villes. Ça allait de Téhéran à Dakar, en passant par Calgari au Canada, Vienne en Autriche, un certain nombre de villes en France, Porto Alegre. En simultané, des débats avec une dizaine de personnes dans chaque lieu se sont produits. Moi j’étais à Saint-Denis. Et il y avait quelqu’un devant un ordinateur qui servait d’interface entre ce que disaient les gens dans la salle où on était, et ce que disaient les autres ailleurs. Ça, c’était merveilleux. On a lancé un débat sur comment peut-on changer le cours des forums. Et ça a démarré fort avec les Sénégalais qui ont dit « de toutes façons, c’est pas pour nous, c’est trop cher ». Ceux de Porto Alegre disaient « mais non c’est pas vrai, c’est pas un truc de riches », « si, si, rien que le billet d’avion », ça a duré trois heures, c’était pas mal. Mais c’était difficile, on parlait trois langues. L’Iranien a expliqué qu’il ne pouvait même pas organiser un débat sur place car il y a interdiction de se réunir à plus de deux ou trois personnes. Tout ça a alimenté le débat de tout le monde, et ça nous a pas mal plu. La compréhension de ce que pourrait bien être un forum social et à quoi ça sert est différente d’une région à l’autre. Et donc, au forum social européen qui a lieu à Saint-Denis, on s’est demandé « est ce qu’on y va, est ce qu’on n’y va pas ? est ce que ça va être pareil ? » Et on a décidé de faire des descentes à Saint-Denis tous les mois avec une caméra depuis mai, pour aller chercher la parole des Dyonisiens, pour savoir s’ils étaient au courant que dans leur propre ville se passerait un événement où il y allait y avoir au moins 60 000 personnes et où allait se débattre les grands enjeux de ce monde, et s’ils étaient au courant, qu’est-ce qu’ils avaient l’intention de faire, etc.
En gros, je vous ai dressé l’historique.
Aujourd’hui nous avons invité un représentant de la mairie de Saint-Denis, maire adjoint, Stéphane Peu, et des habitants de Saint-Denis, qui ont participé, ou pas, à cette expérience, et je vois qu’il y a des élèves du lycée Suger. Nous avons également invité un représentant de l’organisation du FSE.
Karine - On est allé depuis mai tous les mois à Saint-Denis dans les différents quartiers de la ville, et on interpellait les gens en leur demandant s’ils avaient entendu parler du forum social européen qui allait se passer dans leur ville. Ce qui était assez fou, c’est qu’à 99,9% des cas, les gens n’en avaient jamais entendu parler, et ne savaient même souvent pas ce que c’était. Et la dernière fois qu’on y est allé, à une semaine ou dix jours du début du FSE, donc très très proche, même là les gens n’en avaient jamais entendu parler. Donc là on a essayé d’engager une discussion pour savoir, pour eux, quels étaient les sujets importants dont ils auraient aimé discuter dans un tel lieu. Soit les problèmes de leur vie, de leur ville, et comment ils auraient aimé en parler. Avec tous ces mots, ces paroles des gens, on est allé interpeler la mairie, et on a fait ce reportage pour essayer de rassembler ce qu’on nous a dit, ce qu’on a entendu pendant toute cette période.
Visionnage du documentaire
Intervenante : Ca fait un certain temps que j’habite Saint-denis, et je sens qu’il y a une dégradation. Une dégradation au niveau du langage, de comportement, de tout.
Intervenante : Je suis interprète pour le forum, je suis docteur en philosophie, je suis Brésilienne, ça fait 20 ans que je vis en France. C’est la première fois que je viens au forum, je me suis présentée comme interprète volontaire. Déjà, je dois vous dire, je devais travailler ce matin à 9h, hors de question, ils ont changé le planning, au lieu de me passer un coup de fil pour me dire « on n’a pas besoin de vous, c’est pas la peine de vous lever à 7h du matin », non, je me suis déplacée, après j’ai voulu assister à une plénière sur l’horizontalité, non, ils ont changé de lieu et elle était déjà complète. Voilà pourquoi je me trouve ici avec les femmes. C’est pas mal, c’est très bien même, je suis ravie d’être venue.
C’est quelque chose qui me choque, ça me heurte, on ne voit pas les exclus ici. Y’a pas de délégation… On subventionne l’interprétariat, on est en train de dépenser une fortune pour l’interprétariat dans ce forum, pour louer des machines et des choses comme ça… Pourquoi au lieu de ça, au lieu de faire du blabla intellectuel, pourquoi est-ce qu’on n’invite pas les gens qui sont au fin fond de l’Afrique, au fin fond de l’Amérique latine, qui ne peuvent pas payer leur billet, et qui représentent de fait une communauté ?
Autre chose que je trouve particulièrement grave dans ce forum, c’est le fait qu’on nous ait éparpillé partout, ça c’est lamentable. Parce qu’on est là pour se rencontrer, pour parler, on a quatre lieux, pour ne pas dire dix, il faut courir à droite et à gauche, traverser tout Paris. On aurait très bien pu faire ça par exemple au parc de la Courneuve qui accueille tous les ans la fête de l’Humanité qui est un truc énorme ! Pour l’instant, je me déclare vraiment très déçue. Mais je suis contente d’être là maintenant, au moins, je peux parler de ça.
David Eloy : Pourquoi je représente le secrétariat d’organisation ? parce que je suis membre d’une coordination qui s’appelle le CRID, qui est un collectif d’associations de solidarité internationale qui regroupe 53 organisations dont Les Pénélopes. Le CRID a fait le choix de participer à l’organisation du forum social européen et d’être au secrétariat d’organisation, et on était 3 personnes dont moi qui avons suivi l’ensemble des travaux. Je voudrais d’abord préciser que l’organe de décision du FSE c’est l’Assemblée européenne de préparation. Le montage est très compliqué, et je crois que c’est important d’avoir ça en tête pour savoir comment les décisions peuvent être prises, qui peuvent apparaître comme des mauvaises décisions et je ne compte pas endosser la responsabilité de toutes les décisions qui ont été prises !
Le principe est que l’organe de décision, on pourrait discuter de sa composition…, est composé de représentants autodésignés de plateformes nationales qui se sont créées pour organiser le FSE. Donc il y a eu un rassemblement en Angleterre, un aux Pays-Bas, en Allemagne, etc. et chacun envoie des représentants au niveau européen. Juste à l’échelon en-dessous c’est le Comité d’initiative français, c’est ce que tout à l’heure dans le documentaire Sylvie appelait le « comité des sages ». C’est 300 organisations, c’est un lieu qui était complètement ouvert. Iln’y a jamais eu de fermeture de ce lieu : les gens, ou plutôt les organisations plus que les gens, qui souhaitaient participer à ce comité d’initiative pouvaient le faire. Effectivement, ça demande des moyens en terme de temps,… Ensuite la mise en œuvre pratique était déléguée à un secrétariat d’organisation qui, lui, était composé d’une trentaine d’organisations. C’est un schéma qui est très compliqué dans la prise de décision. En plus dans la composition de chacune de ces instances, on a des acteurs avec des intérêts, sans que ce soit péjoratif, des intérêts très très différents et donc il faut composer dans le processus de décision ave ça… Je m’exprime en mon nom, ce n’est pas un message officiel que je porte.
Adjera Lakehal : Je suis directrice de l’association des femmes des Francs-Moisins à Saint-Denis et je fais partie du collectif de Saint-Denis, et je suis une ancienne membre du secrétariat d’organisation. Je dis ancienne membre parce qu’après la description que vient de faire notre ami, j’ai envie de rajouter des choses qui vont être un peu polémiques. C’est-à-dire qu’on parle d’ouverture etc., mais de fait ce sont toujours les mêmes qui décident. Pourquoi ? Parce que dans l’organisation c’est une histoire de permanents d’associations. Même quand on a la volonté. Nous à Saint-Denis on a eu le désir dès le départ de s’impliquer dans cette histoire de forum social, on s’est très vite rendu compte - et c’est pour cela que moi à un moment donné j’ai cessé d’aller au secrétariat d’organisation, parce que c’était du pipeau - c’est qu’on ne peut pas influer sur les décisions ou même discuter des décisions parce qu’on n’a pas tous les éléments. Ce n’est pas la même chose que d’être à temps complet sur le suivi des affaires et de pouvoir s’emparer de cette organisation que de venir une fois par semaine pour entendre ce qui a été travaillé par les autres. Moi je l’ai ressenti comme ça. Tout au plus, un tout petit peu une réflexion qu’on ramène du local. En ce qui me concerne c’était quoi ? On a beaucoup travaillé sur la question de l’élargissement social, et le petit film qui a été fait retrace bien la difficulté à laquelle on s’est heurtée. La réalité c’est que dans un premier temps l’élargissement social c’est fait vers les militants, pas vers les habitants. Comment on travaille ensemble, comment on fait pour avoir quelques principes qui sont incontournables : la présence des partis politiques ou pas, on est pas là pour faire avancer son association mais pour avancer en groupe. Rien que ça c’est compliqué. Nous on a défini plusieurs groupes de travail, un sur l’immigration, un groupe femme, etc. Et sur l’ensemble du collectif, l’idée était de faire avancer une thématique, au nom d’un groupe et non pas au nom d’une association. Pour arriver à faire ça, il nous a fallu un an. Le FSE pour nous, c’est pas une fin en soi, l’événement en soi n’est pas le plus intéressant. Le plus intéressant, c’est comment va-t-on faire après. Comment on va travailler avec les habitants pour que, effectivement, les gens s’approprient une réflexion et puissent la porter ailleurs et qu’il se passe réellement des choses sur le quartier. Ça c’est vraiment le plus compliqué. Nous on a une chance à Saint-Denis, c’est que ça se passe ici. Le pari qu’on fait, c’est que les gens ne peuvent pas rester insensibles à ce bouillonnement qui aura eu lieu pendant quelques jours, et quand on va reparler de cette histoire de forum social, cela ne restera pas lettre morte. Mais après, tout dépend de notre capacité à imaginer des moyens de se retrouver tous ensemble : militants et habitants, et ça c’est très compliqué parce qu’on ne sait pas encore le faire. Ceux qui disent « nous on va mobiliser les gens », ce n’est pas vrai. Si on veut organiser une réunion, on a bien vu, y’a eu un truc au Conseil d’Etat avec des jeunes sur des questions police/justice, et les jeunes pendant la préparation avaient dit « si vous faites des réunions, on viendra pas, ça ne nous intéresse pas. Et les porte-parole, c’est pas vous, les militants, parce que vous nous intéressez pas. Ce qui nous intéresse c’est que les rappeurs, qui parlent de la même chose que nous, puissent parler ». Donc il y a eu une initiative qui a été imaginée par l’association Droit et justice autour du rap. Il y a eu 350 personnes, dont une majorité de jeunes. Ils ne sont pas tous restés au débat après. Qu’importe, ça veut dire qu’il y a quand même quelques clés pour savoir comment mobiliser des gens. Faut dire aux gens, « on ne va pas inviter des médecins, etc., pour faire des grand-messes sur la question de la santé, mais vous, quel est votre rapport aux médecins, quel est votre rapport à la santé, quel est votre rapport aux institutions ? Ils ont tourné ça sous forme de scénettes et ça se passera ce soir au forum. Et c’est les gens eux-mêmes pour le coup qui vont venir parler de la question de la santé.
Pour en revenir aux images qu’on a vues, c’est vrai que c’est très difficile pour les associations d’arriver à mobiliser aussi. Il fallait déjà arriver à travailler avec les autres. Et comment faire pour montrer la parole des gens, mais ne pas les représenter ? Tout en sachant que les grand-messes, ça n’intéresse pas. Faut être un peu maso pour aller pendant trois heures écouter des gens parler. Les gens, ce qu’ils veulent, c’est « qu’est ce qui va changer dans ma vie, là, concrètement ». Si il y a cette possibilité de tracer des perspectives, oui, mais si c’est pour entendre, même José Bové qu’on aime beaucoup, parler pendant trois heures, non !
Sylvie Lebas (libraire à St-Denis) : Moi l’information, j’ai du mal à la transmettre aussi. C’est un véritable problème la notion d’information et la transmission : comment on s’informe ? Sur la notion d’organisation, moi j’ai toujours l’impression qu’on est en train de recréer le même type de schémas d’organisations. Imaginer d’autres formes de schémas, c’est sur ça que ça m’intéresserait de travailler. On va réorganiser des types de pyramides où l’information va remonter vers des conseils et la décision va redescendre, et on en crève tous les jours. On en crève dans notre travail, on en crève dans notre famille, parce que la famille fonctionne comme ça aussi. Il y aurait une vraie réflexion à avoir que le FSE, en tant que thématique ne met pas en place. Les thématiques qui sont abordées au FSE, moi je les conteste. L’immigration, pour moi ce n’est pas un problème, c’est des choix : je fais un choix de vivre avec eux. Par contre, la thématique qu’est-ce que vivre avec d’autres ?, qu’est-ce que c’est que la notion de frontières ?, la notion de propriétés aussi. Par exemple, ce qu’on n’aborde pas dans ce genre de rencontres, enfin, rencontres entre guillemets, c’est le partage des richesses. Je pense qu’on est très confortables nous en Occident, qu’on n’arrive plus à le voir d’ailleurs. Y’a un partage qu’est pas re-fabriqué. Je crois qu’on pourrait essayer de réfléchir pour arriver à vivre peut-être autrement. Et même dans notre ville : on a un centre-ville qui est confortable, plus confortable que les quartiers qui sont autour. On ne pense pas à la banlieue de la banlieue. Que les chaises sur lesquelles on est assis appartiennent à Vivendi ça m’emmerde. Il faut fabriquer un territoire de contestation à l’intérieur de la contestation. J’ai ouvert le programme et je me suis demandée où je pouvais aller. Je me sentais un peu toute seule. Et je me dis qu’il faut que moi je réfléchisse : il faut recréer des réseaux de réflexions à l’intérieur même, à partir de mon territoire qu’est ma librairie, qu’est mon appartement à Saint-Denis. Et peut-être que le FSE il a apporté ça : les limites dans lesquelles on est tous, nos propres limites. Moi je sens que j’ai mes limites et je dois voir comment je m’affronte à ça : comment faire partager, comment réfléchir là-dessus, quel est mon travail dans ma profession ?
Intervenante : Moi j’étais au courant de FSE depuis pas mal de temps, je me suis dit c’est génial, c’est près de chez moi.
tu habites Saint-Denis ?
non, j’habite Paris. Je me suis dit : « je peux participer à l’organisation ». J’ai fait des recherches sur internet, j’ai pressenti qu’il fallait que je m’investisse vachement, sinon, je voyais que ça servirait à rien, il fallait que ce soit un investissement… Je me suis dit « non, je ne peux pas ». Je bosse dans une asso qu’est un peu liée à ça, mais c’est une petite asso et on n’allait pas s’investir à cinq personnes sur ça.
David Eloy : Je pense que ce qu’a dit Sylvie est tout à fait juste : on ne sait pas inventer de nouvelles formes d’organisations de ce genre d’événement, de ce genre de processus de réflexion. C’est vrai que c’est un processus compliqué à mettre en place, et on a commencé à réorganiser une structure pyramidale. C’est effectivement dommage. Ça relève aussi de la culture des gens qui ont pris en charge cet événement, qui l’ont programmé, qui l’ont décidé. Ça reste un événement prioritairement porté par des organisations. Il faut y réfléchir, je pense qu’il faut que de nouvelles formes émergent, mais aujourd’hui ce n’est pas le cas. Je pense qu’il faut travailler à cette idée qui soit participative et la construire au fur et à mesure.
D’accord, c’est monté par des grosses organisations plutôt que par des petites, par des grosses coordinations. Il ne faut pas oublié non plus - je fais l’avocat du diable – que c’est un forum social européen : il faut que la dynamique soit européenne. On aurait fait un forum social français, on aurait eu les mêmes problèmes, mais là on les a multiplié en faisant un forum européen parce qu’il fallait faire la connection entre du niveau local et du niveau européen, en passant par le national. C’est quelque chose d’assez complexe. Ça nécessite d’être réfléchi par l’ensemble des mouvements. Et peut-être finalement un forum social français ça n’aurait pas été mal, ça aurait évité de devoir faire ce grand écart où finalement on ne sait plus quels intérêts on défend, et ce dont on a envie.
La dernière chose que j’avais envie de dire, ça va peut-être paraître pour certains une pirouette : il y a deux aspects du forum social. Il y a l’aspect grand-messe avec des grands penseurs de mouvements qui viennent et s’expriment, ce sont les conférences, et je ne suis pas tout à fait d’accord avec ce qui a été dit tout à l’heure, y’a une demande par rapport à ça : il y a beaucoup de monde dans les salles. Ca ne veut pas dire qu’il ne faut considérer que cette demande : c’est vrai qu’il y a une autre demande qui elle n’est pas tout à fait satisfaite, je suis d’accord. Y’a les séminaires, pour lesquels il y a des démarches de propositions. Autant les conférences étaient verrouillées dès le départ : des thèmes fixés, récurrents, à partir des thèmes, on sait déjà qui va intervenir, on n’a pas besoin de se poser la question. Pour les séminaires, c’est un peu moins verrouillé, il y a la possibilité de proposer. Au niveau des atelier, il y avait aussi la possibilité de proposer. C’est vrai que ce sont des lieux qui ont moins de visibilité, mais c’est aussi ça le forum. Ce sont ces espaces-là où s’élaborent des choses. Donc le forum c’est les deux. A la fois ces grand-messes, c’est l’image que nous renvoie les médias et tout ce sur quoi communique le FSE, il faut le reconnaître, mais il y a aussi l’aspect laboratoire expérience et échange qui existe, qui existait à Porto Alegre. Je pense que c’est quelque chose qu’il faut souligner.
Adjera Lakehal : juste deux secondes sur la question des séminaires, etc. Tout à l’heure quand je suis intervenue sur la question des grand-messes, c’est pour dire que dans ces grand-messes, on a toujours les mêmes. Qu’il y ait des grand-messes, oui, mais on entend toujours les mêmes. Qu’on donne la parole à d’autres, et notamment à ceux dont il est question depuis le début de la préparation de ce forum. Depuis Bruxelles, on parle d’élargissement social. Nous sommes un certain nombre de collectifs d’associations à être monté au créneau là-dessus. Si c’est pour faire comme à Florence, ce n’est pas la peine. On est à une autre étape : comment on donne la parole aux citoyens ? La bataille qui a été menée par les villes, par les collectifs, c’est déjà créer une synergie avec le national pour faire avancer un certain nombre d’idées. Une petite association de quartier qui s’est mise dans le collectif à Saint-Denis avec pour objectif de faire remonter le discours, les revendications des habitants, ceux qui n’ont pas l’habitude de prendre la parole et de mettre sur un espace public et visible, au même niveau la parole des experts et la parole d’un habitant. C’est ça qui était intéressant. Que nous a-t-on répondu ? On a transformé nos séminaires en ateliers en nous disant « vous êtes un collectif, un forum social local, on ne sait pas qui vous êtes, ça peut être la municipalité, ça peut être des partis politiques… » Quand on s’investit, quand on fait la démonstration qu’on est vraiment partie prenante, qu’on regroupe des associations, qu’on prend pas la parole en notre nom, qu’on donne la parole aux gens, et bien on est quand même éliminés, le résultat c’est quand même ça !
Je vais prendre encore un autre exemple : celui des sans-papiers. Si l’élargissement s’est fait, il s’est au moins fait sur cette question, c’est-à-dire que nous avons bataillé pour obtenir un séminaire sur la question des sans-papiers. Alors que ça pourrait être évident. Depuis le temps qu’il y a une lutte qui existe, on a assisté à quelque chose d’extraordinaire, c’est que des grosses organisations avaient la volonté de mettre en place des séminaires pour parler au nom des sans-papiers. Et nous on disait : « il faut que ce soit les sans-papiers qui parlent ! » Une fois qu’on a obtenu ce séminaire, on s’est retrouvé ici. Après on apprend qu’on n’est plus là - tout à fait par hasard en surfant sur le site - qu’on est au centre Mandela. Sauf que personne n’a pris le téléphone pour dire « et vous, les sans-papiers, on vous déplace, essayez de vous organiser » ! et sans se dire que les sans-papiers, c’étaient les plus précaires des précaires et que les moyens de communication pour s’organiser, ils ne les avaient pas. Je ne vais pas dire qu’il y avait un plan machiavélique derrière ça, je ne suis pas parano, mais je veux dire que dans cette organisation, on met toujours en avant les plus gros, on se gargarise depuis le début, mais les petits, ils sont pas là. Je pense que l’enjeu du prochain forum social, et ça se discute déjà, c’est de dire "comment le local va pouvoir s’exprimer ?"
Intervenant - Je trouve que c’est vraiment trop français ce forum à Paris, tout le monde parle français. Ma réflexion est qu’il n’y a pas de forme pour ce dialogue, il y a beaucoup de moyens qu’on n’utilise pas.
Je suis venue ici pour parler avec les gens, pas juste pour écouter.
Stephane Peu - Je suis maire adjoint aux relations internationales, et à ce titre je faisais le lien entre la mairie, et les organisateurs du FSE. Je ne vais pas revenir sur l’implication de la ville de Saint-Denis dans le mouvement altermondialiste, c’est pas le sujet ici. Juste un mot pour dire que nous sommes impliqués en tant que ville depuis le premier forum social de Porto Alegre, et à Porto Alegre, il y avait 3 municipalités européennes impliquées : la ville de Saint-Denis, celle de Barcelone, et une italienne. On nous a proposé d’accueillir le forum social européen, on n’a rien demandé. On est venu nous voir à Porto Alegre en nous demandant si on acceptait, quand il a été question de décliner dans les différents continents, d’accueillir avec Paris le FSE. Ce qu’on a accepté volontiers. Je pense qu’il y avait principalement deux enjeux dans l’organisation de ce forum européen : le premier était de parler beaucoup plus de l’Europe que nous l’avions fait à Florence, car à quoi ça sert de faire un forum continental si on est dans les mêmes thèmes qu’au FSM ? Il faut lui donner des axes européens, et ça, ça a été beaucoup plus fait qu’à Florence, donc ça c’est positif. Et puis le deuxième enjeu, il est trop tôt pour le mesurer, on verra avec la manifestation de demain, mais c’est l’élargissement social, c’est-à-dire que nous considérons que nos propositions, le but est de les faire passer, d’en faire éventuellement des lois, des réformes. La difficulté à laquelle nous avons été confrontés en tant que municipalité réside dans notre dialogue avec le secrétariat d’organisation du FSE. Paris a eu une attitude : « nous on fait un chèque et après on ne veut plus entendre parler de rien », nous on n’a pas eu cette attitude, on a discuté du contenu politique du forum. On connaît la charte de Porto Alegre… L’implication de la population locale, ça nous concerne aussi ! De mon point de vue nous n’avons pas assez été entendu et on est en échec total pour ce qui concerne l’élargissement populaire. Et on n’a pas échappé lors de ce FSE à la répétition d’un forum conçu comme un lieu de débat, sur des thèmes, parfois récurrents, et je le regrette fortement. Et toutes les manifestations qui se déroulent à Saint-Denis pour multiplier toutes les portes d’entrer dans le forum pour qu’ il n’y ait pas uniquement des débats, mais aussi des concerts, des expos, des démonstrations artistiques, des manifestations, de la convivialité, etc., tout ce qui concourt au FSE pour faire entrer par plein de portes, en dehors des débats, tout le reste, c’est la ville qui l’a organisé. Soit la municipalité directement, soit les associations locales, mais ce n’est pas l’organisation du FSE. On faisait des propositions, elles étaient retenues ou non et on en prenait acte, mais y’a un sujet sur lequel on s’est un peu fâchés, c’est celui de la communication. C’est-à-dire qu’aux conférences de presse, on ne veut pas faire parler les organisations, on fait parler les permanents du forum social et on met les élus dans les chiottes et il y a 200 journalistes qui sont là et qui demandent comment les habitants des villes investissent le forum social. Personne ne peut répondre à part les gens des villes et on ne les laisse pas parler parce qu’ils ne sont pas légitimes par rapport au forum social. Pour la communication, pour aller faire des reportages : interdiction est faite de s’adresser aux mairies, il faut s’adresser aux attachés de presse du forum social. Je prends l’exemple d’une équipe de télévision dimanche matin, qui appelle le forum social pour venir sur le marché de Saint-denis pour savoir comment ça se prépare sur place. C’est un membre du secrétariat d’organisation qui habite dans le 15e arrondissement de Paris qui a pris le métro, qui s’est précipité pour poser devant la télé au marché de Saint-Denis, sur lequel il n’avait jamais mis les pieds de sa vie, et expliqué comment ça se préparait à Saint-Denis. Et jamais un militant dyonisien, je ne parle même pas des élus, mais, jamais un militant n’a été contacté parce qu’une consigne avait été donnée aux télés à la fin de la semaine dernière, considérant qu’il y avait un manque de maîtrise dans l’organisation.
Je prends cet exemple-là parce que, nous qui essayons de pratiquer la démocratie participative, on pense qu’elle devrait pénétrer un peu l’organisation du FSE. Il n’y a pas d’un côté les experts ou des gens qualifiés par les responsabilités qu’ils ont dans leurs organisations pour décider d’un FSE, mais il y a aussi des experts du quotidien, des gens qui se battent, et l’exemple du problème des sans-papiers est flagrant, qui doivent aussi pouvoir prendre la parole.
Pour les élus locaux, l’objectif est aussi d’élargir le forum.
David Eloy - Par exemple nous, au niveau du CRID, on s’est battus pour avoir le droit d’intervenir aux plénières, même si ce sont des grand-messes, pour qu’il y ait un regard extérieur à l’Europe qui soit porté. Ça nous a demandé une énergie considérable. On doit travailler dessus pour qu’au prochain forum ce soit quelque chose de beaucoup mieux. On a eu hier un séminaire avec un intervenant sourd, et c’était le seul.
Joëlle - Je ne suis d’accord avec personne là-dessus… Nous les Pénélopes, on a très vite abandonné l’idée de faire partie de l’organisation parce qu’effectivement c’est impossible. Parce que les formes d’organisations, que ce soit de l’Assemblée européenne de préparation, du Comité d’initiative français, et encore moins du secrétariat d’organisation… le secrétariat d’organisation on ne nous y invite pas, on est exclus d’office. On est une petite organisation, féministe de surcroît, donc on n’a pas de place là, c’est clair. Soit on se bat comme des dingues, et ça demande une énergie de dingue, mais en fait ça nous intéresse pas tellement. J’ai assisté à deux Assemblées européennes de préparations, je suis restée maximum 3 heures parce que c’est impossible de discuter dans ces instances-là, ce sont des guerres de pouvoir entre organisations. Nous on n’a pas à se battre avec ces organisations-là, notre combat il est totalement transversal, on en a encore pour des milliards d’années pour faire avancer le féminisme, c’est quand-même un mouvement de changement social indispensable, donc on prend notre peine au jour le jour, on sait qu’on en a encore pour quelques années. On ne va pas dans ces lieux-là parce qu’on ne va pas les convaincre, on sait que c’est totalement inutile. Par contre, on fait des choses parallèles, parce que c’est le seul moyen en fait. Et ça marche. Le fait par exemple qu’il n’a pas d’idées, qu’il faut imaginer des trucs, mais qu’est ce que vous croyez ? On n’arrête pas d’imaginer des trucs, et on n’est pas les seules, y’a plein d’imagination, y’a plein de création de choses. Là, pour le FSE, on a fait au moins deux choses : on est allé filmer les gens dans Saint-Denis pour savoir s’ils étaient au courant ou pas, s’ils savaient ce que c’est un forum social, on va voir les gens, et on leur donne la parole, à notre niveau évidemment. Et la deuxième chose qu’on a faite : on a fait venir 14 personnes d’Europe de l’Est, 14 femmes, de pays qui ne sont ni la Russie, ni la Hongrie, ni la Pologne. Parce que moi aussi je suis allée aux réunions d’organisation, à la commission élargissement. J’ai cru que j’allais me flinguer. Parce que d’abord on a fait un paquet, on a mis dans la même commission les immigrés, les sans-papiers, les sans-quelque chose, et les autres, ceux qui ni sont ni d’Italie, ni de Grèce, ni… les autres. J’ai complètement halluciné. Mais en même temps ça m’a intéressé. Je n’ai presque rien dit, mais ça a fait sens, ça fait le lien entre le colonialisme, l’impérialisme, le mode hégémonique de traiter, y compris les questions sociales, puisque le forum social est censé traiter des questions sociales et proposer des solutions de façon non marchande, ou en tout cas non capitaliste. Et là, j’avais vraiment une démonstration qu’on restait exactement dans le même modèle que ce qu’on combattait. J’ai voulu commencer à travailler là-dessus. J’ai rencontré des élus, des gens responsables et des gens pas responsables du tout, mais c’est vraiment ce qu’il manque dans l’organisation de ces forums sociaux, et y compris à Porto Alegre, c’est une vraie réflexion sur comment ne pas tomber dans les travers de ce qu’on combat, c’est-à-dire le capitalisme. Dans la préparation et ici, je dis 10 fois le mot capitalisme par jour parce que j’ai l’impression qu’on l’oublie. Hier j’étais à un séminaire qui s’appelait « mondialisation et genre » et je suis restée scotchée dans mon siège parce qu’on ne parlait que de l’Omc, du Fmi, de la Banque Mondiale. En fait on se positionne par rapport aux grands agendas de notre ennemi. Et nous on a plein de choses aussi, et pourquoi on n’en parle pas ? En fait, dans les mouvements sociaux, déjà je mets tout au pluriel, j’en ai marre que tout soit au singulier, y’a pas un mouvement social, y’a pas un marché, y’a pas un marché du travail, tout est au pluriel. Dans les mouvements sociaux, il y a une reproduction du schéma du capitalisme et on se place par rapport à ça, même si dans les forums sociaux on est passé dans une phase de propositions plus que dans une phase de protestation, mais néanmoins on propose dans le cadre qui nous est soumis et on propose pas d’autres cadres. Donc moi je vous invite fortement à poser vos cadres là où vous pouvez, là où vous êtes, que ça prenne plus où moins de temps. Ce qui compte dans la créativité, dans ce qu’on peut imaginer, pour que ce soit autre chose que ce qu’on a là. Moi je pense que ce qui est essentiel c’est le partage, c’est l’échange, sans aucune hiérarchie, c’est-à-dire que tout est bon à prendre, et après c’est à chacun de faire son tri. Nous par exemple, le fait de faire venir ces femmes d’Europe de l’Est, c’est magique. Y’a des convergences de contextes et de problèmes, mais on apprend aussi beaucoup chacune, parce que chacune se démerde dans son coin avec son organisation ou sans son organisation, et on apprend. Nous on est sur des types de réseaux totalement internationaux et complètement transversaux, si des organisations syndicales ou autres veulent nous rejoindre, ils ont le droit, c’est ouvert, mais l’inverse n’est pas vraie, nous, on ne va pas aller se mettre là-dedans, ça n’est pas possible.
Intervenant - Je crois qu’il y a un malentendu, ou un risque de malentendu. Je suis de la région parisienne. La démocratie participative, ou la création d’un autre monde, qu’on appelle anti-capitalisme ou d’autres noms, moi j’en n’ai rien à faire, mais c’est déjà un grand succès. J’ai participé depuis le début, on a eu du mal à se faire entendre comme forum social local. Mais autant dans notre ville que dans notre région qu’au plan national, il y a des gens qui veulent la démocratie. On sent bien que si on veut un autre monde il faut qu’il soit construit par les exclus, par les sans, par les gens qui travaillent, par les femmes, par les hommes, mais c’est la société tout entière qui est en échec de ce point de vue, c’est pas le FSE. Faut pas vouloir reproduire au niveau du FSE, des forums sociaux, ce qu’on veut détruire par ailleurs. C’est-à-dire qu’on veut détruire des cadres, qui excluent, qui nous interdisent de parler, qui volent le pouvoir. Moi je connais l’expérience de Saint-Denis, elle est formidable, je pense aux sans-papiers, aux Pénélopes, que j’ai suivi. C’est comme ça qu’au niveau départemental, régional, national, planétaire, se développeront des réseaux, libres d’initiatives. Dire que le comité d’organisation du FSE a tout corseté ce n’est pas vrai, moi je connais comme toi un 20e, 30e de personnes qui étaient dans cette organisation, y’a des femmes, des syndicalistes, des attaquiennes… Ce qui est intéressant pour moi dans le forum social c’est de faire exploser les cadres. S’il y a des élus, des travailleurs, des femmes, des immigrés… On part des exclus, des sans droits, c’est une utopie, je ne sais pas si on y arrivera mais ce n’est pas le problème de l’organisation qui le règlera.
Intervenante - Je voudrais faire une petite remarque d’ordre pratique, peut-être elle a été faite avant car je suis arrivée en retard… Moi j’habite à Saint-Denis. On a eu un petit papier pour annoncer le forum social local, un papier général très bien fait avec les différents téléphones des groupes, quand j’ai téléphoné, pas de problème, les militants ont assuré, ils m’ont rappelé. Après y’a eu un autre petit papier pour annoncer le forum général, et quand j’y suis allé, j’ai constaté qu’on était toujours les mêmes à s’intéresser, mais y’avait pas la foule, alors qu’il y avait des débats très intéressants. Et après on a eu ça, un papier de la ville avec tout le programme, qui est très bien fait, jaune en plus. Mais c’est pareil quand j’arrive le soir, les gens, que ce soient les petits papiers ou ça, ils étaient tous dans la poubelle ou sur les boîtes. Alors moi je les ramasse, je les donne aux gens, je dis « mais t’as pas vu le papier, mais y’a un forum social à Saint-Denis, y’a ci, y’a ça, reprends le papier ». Les gens ne se sentent pas concernés par ce papier. Et y’a pas seulement des illettrés dans mon immeuble, y’a aussi des étudiants africains par exemple. C’est comme ça pour tout, toute l’année, le journal de Saint-Denis, par exemple où y’a quand même énormément de choses, y’a beaucoup d’informations, les gens le flanquent à la poubelle. Quels que soient les documents, l’écrit n’est pas le véhicule préférentiel à Saint-Denis, le bouche-à-oreille, le contact direct avec les gens est capital. Je pense à l’expérience de Sylvie qui est libraire à Saint-Denis, qui a organisé avec d’autres personnes des repas conviviaux le soir avec de bal dans la rue et là les gens se parlent, y’a des choses qui se passent. Et je pense que pour les prochaines choses, il faut aller sur les marchés, etc., parler aux gens. Je répète, si on veut que tout le monde vienne, ce n’est pas l’écrit qui est le principal véhicule. Et quand on se sera mis ça dans la tête, pour nous les militants, y’aura peut-être quelque chose qui aura avancé.
Intervenant - Je m’appelle Jessie, je viens de Lille, dans le nord de la France, je fais partie d’une petite association, on fait des conférences, des projections, des débats. On essaie à notre échelle de contribuer à la prise de conscience. On reproduit aussi vachement des modèles universitaires de conférences. Là par exemple on va faire une tentative, c’est bien de l’expérimentation, de faire un travail sur les quartiers populaires et la notion d’immigration. On a bien séparé les deux thématiques, parce qu’on s’est rendu compte au début qu’on les associait. Sinon, je suis aussi étudiant en sociologie en maîtrise et je travaille sur le mouvement altermondialiste et les forums sociaux. Donc je n’ai pas un grand savoir, en tout cas pas plus que vous. Mais je voulais juste rebondir sur la notion de véhicule, que l’écrit n’est pas un véhicule préférentiel pour toucher les gens. Je voudrais juste témoigner de mon expérience de Florence l’année dernière, où je m’étais dit « il faut que je sache ce qu’est un FSE, je vais prendre toutes les documentations, les grandes thématiques importantes, et je vais aller dans les grandes conférences ». On en est tous ressortis avec le même constat : d’une on y apprend rien, de deux c’est chiant à mourir. Bac + 5 pour le côté universitaire, chiant et pompeux, ouais, bac + 5 dans le niveau, non, même au collège on y apprend des choses plus intéressantes, et je déconne pas, je suis retourné voir par curiosité des cours d’histoire de primaire et de collèges et vraiment on y trouve des choses de meilleur niveau. Et la question de l’élargissement, elle passe aussi par là je pense, elle est sur une réflexion, non pas sur le contenu, mais sur les formes. Ce sont les formes universitaires qu’on nous donne. Si on nous ressert ces pratiques, ce n’est pas nécessairement consciemment non plus. On ne peut pas nous reprocher d’être ce qu’on est. Au gars qui a un accent, on peut pas lui reprocher. On fait avec notre éducation et notre parcours, mais cela dit, il faut revenir dessus, le critiquer durement, de façon ouverte. En terme de proposition, cette fois je me suis dit je vais me remettre dans ma peau à moi, je ne vais pas jouer au petit sociologue, je ne vais pas être avec mon carnet à observer en permanence. Je suis venu avec mes potes, je vais me laisser porter par le courant, je vais pas chercher l’information. C’est que les militants qui vont chercher l’information, les universitaires, les gens, eux, ils vivent, pendant que y’a des trous du cul qui se prennent la tête sur des thématiques. Pardon pour les trous du cul… En tout cas savoir ce que c’est qu’un forum social européen c’est plus aller demander comme vous l’avez fait dans ce reportage, et j’ai vraiment tilté sur la démarche. Si je veux savoir ce que c’est, je vais aller demander aux gens qui ne savent pas ce que c’est. Je vais demander à tous les gens qui sont passés et qui ne sont pas restés, j’aurai plus de chance de savoir ce que c’est auprès des gens qui veulent plus y participer. Aller parler aux gens, y’a tellement d’informations, trop d’informations tue l’information, on est un monde de communication, on dit société d’information, c’est le cas, mais c’est pas une société du savoir, c’est que de la communication et on doit chercher de nouveaux véhicules. Et y’a aucune remise en cause. La télévision, ça ne vaut pas une discussion avec les parents, un livre, ça ne vaut pas une discussion humaine non plus, un film, internet, un tract, absolument rien ne vaut ça. Les phénomènes de prise de conscience se font par des rencontres de vie, tous ici je pense, on est entrés en politique par des rencontres de vie. On a un bagage de nos parents, etc., mais un jour, par hasard, je suis tombé sur un livre, une pièce de théâtre, par hasard on va tomber sur un militant altermondialiste qui va te dire « viens voir là, viens voir ce qu’il se passe ». Pour sensibiliser les gens au FSE, j’ai un ami qui nous a fait une proposition, qui n’a pas été retenue. Il disait prenons une table, on se pose à des points stratégiques, à des carrefours de rue, des places, et tout ça, et on y reste, admettons une semaine, et on va à la rencontre des gens pour discuter, non pas « je vais te sensibiliser », mais « t’en penses quoi ? ». Ça me paraît une piste intéressante. Et ici, c’est l’atelier que j’ai trouvé le plus riche pour l’instant, y compris en termes de fond, parce que y’a des oppositions de points de vue.
Sylvie Lebas - Je suis libraire donc l’écrit est quelque chose d’important pour moi, et je pense qu’on peut aussi faire des rencontres à travers les livres. Parce que derrière le livre, y’a des humains. Je dis toujours par provocation « les livres, j’en n’ai rien à glander », c’est faux, totalement faux, mais ce qui m’intéresse, c’est les liens que ça va établir et je ne veux pas faire de différences d’âges, de classes sociales, du coup j’ai fait un étage pour les gamins car je veux pas avoir de droit de regard sur ce qu’il sont en train de faire, sauf si y’a le souk…. Pour revenir à l’écrit, pour moi c’est un véhicule, pas autre chose, mais il a été sacralisé de façon terrifiante. Peut-être il est désacralisé aujourd’hui justement si on envoie les paquets à la poubelle. Peut-être c’est bien, peut-être qu’on va passer à autre chose et que ça va devenir un vrai lien cette écriture, parce que l’écriture, c’est aussi la parole.
J’ai monté dans le cadre du forum social ma réponse à moi, parce que, au départ, je voulais pas y participer, et du coup j’ai monté mon cadre. Le forum social voulait des librairies dans ces sites, et d’ailleurs ils ne les ont pas du tout programmés. Ils n’ont fait aucune programmation de ces librairies. Donc on a monté dans un local par très loin de la librairie une autre librairie, qu’on a appelée Ephémère. Ça m’a permis de monter cette librairie par groupes économiques : j’ai classé les éditeurs par appartenance à leurs groupes économiques. C’est quelque chose que j’avais toujours eu envie de faire, que je ne peux pas faire dans ma librairie parce qu’on est toujours dans ce classement par ordre alphabétique. Du coup, c’est extraordinaire géographiquement ce que ça donne. C’est très révélateur de l’image de ce qu’on est intérieurement, en tant que penseur d’un autre monde possible. C’est très à la mode ça : « un autre hmhm est possible », en ce moment on fait que ça. La notion de forum aussi. Y’a des forums partout qui sont pas des vrais forums. La notion de forum c’est se prendre le chou, et éventuellement se battre un peu. Si vous avez l’occasion de venir, pas pour acheter, pour voir géographiquement. Le livre, c’est aussi des idées qui émergent, c’est aussi de la création. Vous allez voir comment ceux qui mènent ces débats dans les séminaires, ces experts, ces personnalités, chez qui ils sont édités, et en quoi ils sont en contradiction avec leurs propres idées. Par exemple, José Bové, qui est très sympathique, Bernard Cassen, est édité chez Lagardère, tout Attac est édité chez Lagardère, aux Milles et Une Nuits, qui appartient à Lagardère, et il le sait. Moi ça me pose des problèmes terrifiants, ça me donne envie de fermer ma librairie et de faire autre chose quand j’ouvre mes cartons et que je vois ça. Je ne comprends pas, alors qu’on a d’autres alternatives possibles en termes d’édition, y’a des petits éditeurs résistants qui font un boulot extraordinaire. Je ne comprends pas pourquoi ces gens qui ont un nom fort, qui peuvent faire vendre, ne se font pas éditer par des petits éditeurs alternatifs. Peut-être que c’est une stratégie, que j’y comprends rien, c’est possible, mais en terme d’édition je pense que je m’y connais un petit peu quand—même.
J. Bartayrou - Depuis ce matin, j’entends vachement parler de problèmes, de frustrations, de procès du comité d’organisation. Y’a plein de problèmes, mais y’a quand même des perspectives, y’a plein de mouches sur la vitre, mais y’a quand même un paysage qui apparaît derrière la vitre, et je trouve que ça c’est vachement bien. Si on est là aujourd’hui, c’est quand-même une opportunité extraordinaire. Il ne faut pas perdre de vue ni les perspectives historiques, ni les perspectives de ce qui est en train de se passer en se concentrant uniquement sur les problèmes et ce qui ne va pas bien. On a tous des problèmes, mais moi je suis content. On se bat parce qu’on est opprimé, parce qu’on en a marre du mépris, et tout ça mais il faut aussi y trouver son compte personnellement et collectivement. On marche vers une libération et ça doit nous apporter quelque chose en termes de bonheur et de mieux vivre.
C’est une première chose. Ensuite, on a parlé de plein de types de problèmes et je ne ferai pas le procès des organisateurs même si je ne suis pas naïf et que je vois les problèmes. Je me rends compte qu’à notre petit niveau nous, à notre forum social local du Pays basque nord, il y en a un au sud avec lequel on va se coordonner, 250 000 habitants sur le territoire, 80 km sur 30, les problèmes, on les a, les problèmes de format : les conférences, les ateliers et tout ça… Les problèmes de participation de la population, on les a. Donc ce n’est pas la faute de l’organisation, c’est notre problème à tous. On est en train d’essayer d’inventer. Moi je viens ici et j’écoute, et quand j’entends les problèmes dont on parle, je me dis que ce n’est pas nous qui sommes des anormaux, nous on est pareils. A mon avis, on est vraiment au début, on est dans l’invention, il nous manque tout. On a pas les mots, on est quoi ? Altermondialisation c’est quoi ? On a pas les concepts, et on est en train de créer quelque chose. Heureusement qu’il y a des problèmes, ça veut dire qu’il y a de la vie.
La question de la participation, c’est très complexe. Dire que peut-être qu’à l’occasion du forum social européen les populations vont s’impliquer, mais peut-être que c’est impossible, que ce n’est pas l’objectif. Il y a une relation vachement importante entre le territoire et les gens, comment les gens s’intègrent dans ce territoire subjectif, moi, mon quartier, ma ville, et quelquefois ça ne va pas plus loin, parce que quand on est exclus, quand on a pas la tête hors de l’eau, on ne va pas plus loin, on ne se pose pas de problèmes métaphysiques. Peut-être que c’est à d’autres moments, aux forums locaux ou tout au long de l’année que cette participation est plus facile à mettre en route, plutôt qu’au forum social européen où il faut gérer l’arrivée de milliers de personnes, etc.
Après y’a le problème de la diversité linguistique et culturelle. Quelqu’un a dit « on met plein d’argent pour les traducteurs ». Mais heureusement que y’a les traducteurs, sinon ça veut dire quoi ? qu’on parle tous en anglais ou en français ? Moi quand je viens à Paris, les Parisiens ils m’énervent toujours, pas tous heureusement, mais ils ont toujours l’impression qu’ils sont dans l’universalité. Y’a un vrai problème de diversité culturelle, linguistique, même en France, alors ne parlons pas au niveau européen et encore moins des autres continents. Y’a quelqu’un qui parlait de ça hier dans une autre réunion, y’a un vrai problème. Si on prend 99-2003, c’est tout petit à l’échelle historique. Un mouvement d’émancipation, ça se construit sur des siècles. Y’a des problèmes et tout ça, mais y’a un mouvement en formation.
Y’a un besoin auquel il faut répondre, un besoin de formation pour plein de gens, des jeunes notamment, pas forcément parce qu’ils sont formatés, c’est une université populaire et faut pas négliger ça. Y’a un autre besoin, c’est celui de l’émergence d’une pensée politique. On a l’impression de répéter toujours la même chose, mais y’en a plein, pour qui c’est la première fois. Après, y’a la définition des objectifs politiques : on veut changer le monde, mais une fois qu’on a dit on va changer le monde, on a gagné la première bataille, celle des idées, avant on pensait « on ne peut rien changé ». On a gagné cette bataille, c’est une toute petite bataille. Toutes les autres batailles restent à mener. Maintenant il faut se demander quels sont nos objectifs, nos revendications, puis les problèmes stratégiques, comment on va faire. Il y a tous ces besoins-là ; ce sont des besoins stratégiques, personnels, collectifs, d’organisation. Ce n’est pas facile à gérer. Je crois qu’il faut pas s’invectiver et tout ça, même s’il y a des cons partout, même s’ils y a toujours des mecs pour prendre la parole, les mecs sont toujours là pour parler, parce que les mecs dans une assemblée faut qu’ils parlent sinon ils existent pas. Mais moi je constate quand-même que la question des rapports de sexes est revenue très forte, et notre premier forum local, le reproche qu’on lui a fait, c’était le silence sur cette question, et le deuxième forum qu’on a fait, l’axe central c’était ça, c’était les rapports sociaux entre les sexes. Je suis d’accord, il reste des milliards d’années encore, mais je crois qu’on peut pas troquer les années actuelles qu’on vit pour les années 80 parce que c’est quand même mieux.
Intervenante - Je suis dans un forum social en Suède, on travaille sur l’organisation en tant qu’organisation, on est dépendant d’autres organisations, on veut inspirer les autres sur la démocratisation du forum…