La photo "accompagne" Corinne Provost depuis qu’elle a 22 ans : "J’ai toujours aimé faire des images de ce qui me touche, m’intéresse, me préoccupe. De mon univers. C’est ainsi que le contenu a aussi évolué, en fonction de ma propre évolution et de mes engagements."
Enfant, elle sauvait de la poubelle les rebuts rapportés de l’imprimerie par son dessinateur-retoucheur de père, confectionnait des petites gouaches… Discrètement, car dans une famille populaire comme la sienne, si on possède et cultive le sens du beau, on n’en fait pas étalage.
Elle a conservé cette fière humilité. Oui, elle est une artiste, mais pas coupée du monde. L’art pour elle, c’est un échange, un patrimoine commun à transmettre, pas une tour d’ivoire. Un plaisir aussi, auxquels toutes et tous peuvent, doivent avoir accès.
Le temps des choix
Corinne Provost vit à Nantes depuis 1996. Elle a pris en 1998 sa retraite "proportionnelle" de fonctionnaire mère de trois enfants ayant exercé plus de 15 ans. Auparavant, elle était infirmière, en région parisienne, depuis l’âge de 22 ans.
Pourquoi ne pas avoir tenté de devenir photographe professionnelle ? Cela lui semblait "trop périlleux". Après un congé de formation et un CAP de photographe obtenu en 1991 (pour "me rassurer"), elle a des obligations vis à vis de son employeur. Et puis, elle "ne fuyait pas" son métier d’infirmière, qui a aiguisé son respectueux regard sur autrui et contribué à enrichir son travail photographique. L’option du mi-temps lui a permis de poursuivre ses activités en parallèle, tout en menant à maturation ses désirs et sa pratique.
Elle peut aujourd’hui suivre ses choix en toute sérénité ; même si, la photo étant un média coûteux, elle rencontre des soucis de financement : "Qui peut/veut payer des sujets sociaux, sur le travail, des femmes ? Dans le milieu artistique, je me sens un peu décalée : le social, l’engagé n’a pas trop sa place dans la production culturelle. Dans le milieu médiatique, institutionnel, le point de vue féministe d’un sujet est polémiqué, mis en débat..." Néanmoins, elle a obtenu un budget du ministère de l’Agriculture pour Rur(é)alitéEs, un projet sur les femmes en milieu rural. "Il faut persévérer, faire, toujours faire... ".
A l’intérieur des événements
Pour son projet en cours, Rur(é)alitéEs, elle procède comme à son habitude : elle prend le temps de la rencontre, de se placer "à l’intérieur des événements", dans des lieux où les photographes ne vont pas. Elle y apprend " plein de choses. Et c’est passionnant ! ". Avec ses images, elle veut raconter, témoigner, laisser des traces, restituer aux personnes leur histoire, valoriser ("Mon côté infirmière, peut-être !").
Elle travaille en noir & blanc, qui "a l’avantage d’être un peu poétique, un peu intemporel, sobre et sensible. Cela donne de la solennité dans les images, les portraits, du sérieux aussi. Ce qui est bien, je trouve, pour "parler", notamment du travail féminin."
Les personnes photographiées se déclarent contentes, "émues de se voir à l’œuvre", elles dont le travail domestique, professionnel ou militant est si peu (re)connu. "Et puis l’ensemble des images, crée une sorte de communauté de sens, de problématiques, un lien."
Quant au public, Corinne Provost aimerait le voir se diversifier, sortir du cercle des convaincus, pour que ses expositions-témoignages touchent davantage de monde, mais aussi pour recueillir des avis sur son travail photographie. Cela vient, progressivement, car ses expositions (Femmes à la ville et Au bout du rouleau… de caisse, 1997 ; Les femmes et le temps, 2000 ; Femmes au travail, 2001 ; F comme…, scénographiée par ses amies plasticiennes du collectif La Luna, 2002) "tournent" de plus en plus, dont certaines ont fait l’objet d’un catalogue.
Souligner le plaisir de militer
Pour Corinne Provost, la photographie est "plutôt un plus militant", qui ne la dispense pas de participer à des actions et réunions, d’animer des formations, de tenir des permanences… Elle estime que les apports des pratiques artistiques, théâtre, musique, danse, photo…, enrichissent les pratiques militantes. "Je trouve que l’apport image agrémente aussi le militantisme, souligne le plaisir qu’il y a à militer : inventer une culture , une contre-culture, d’autres iconographies. J’ai vraiment le sentiment qu’il y a beaucoup à inventer. "
Après Rur(é)alitéEs, elle ne sera pas à cours de projets ! Ayant "la certitude que la paternité doit être valorisée, investie ; que c’est un enjeu pour l’égalité", elle voudrait "faire des photos sur la naissance de bébés dans les familles, dans un quartier ; photos de pères et mères ; un album de famille de quartier ; ça s’appellerait "faire part" chaque foyer aurait des photos et il y aurait une expo collective, une fête.... quelque chose comme ça. J’aime bien que les photos s’inscrivent dans des évènements.". Elle voudrait aussi faire des photos de parents en prison avec leurs enfants. Et puis, des femmes dans leurs pratiques artistiques, notamment le cirque, "un rêve".
Pour l’heure, elle profite de beaux jours pour partir "à la cueillette d’images en couleur des anciens chantiers à Nantes, des bords de Loire... ". Témoigner, toujours.
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