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Jeanne, ma sœur, on t’a vu revenir

dimanche 29 février 2004, par Dominique Foufelle

Eliane Boéri a monté, avec deux nouvelles complices, un montage de textes issus des deux spectacles des 3 Jeanne. Et le public confirme son intuition : 20 ans, après, rien n’a beaucoup changé sur la planète couple !

"Vraiment, tu me trouves féministe ?", s’étonne Eliane Boéri. Elle se souvient que dans les années 1970, des qui estimaient contrôler l’appellation la lui avaient déniée. Pas assez politisées, les Jeanne, trop gentilles. "On est juste des nanas qui râlent ", estime-t-elle. Aujourd’hui comme hier. Mais si l’humour adoucit la patte, les coups de griffe fusent et marquent. "Tous les soirs, il y a des nanas qui viennent me dire : c’est ça que je vis dans ma cuisine. Ce qui me fait le plus plaisir, c’est que les jeunes, qui ne nous connaissent pas d’avant, adorent le spectacle." Pourtant, on lui avait déconseillé de reprendre "ce vieux machin".

Le rire est le propre de la femme


Comme si épingler les rapports de force au sein du couple n’était plus d’actualité. Ou bien est-il devenu malséant d’en rire ? Le titre à rallonge du spectacle pointe ce refus de balayer devant sa porte : "Vous allez recommencer à dire les mêmes conneries sur les mecs avec tous les efforts qu’on a faits. Merci. C’est sympa !".
A leurs débuts, en 1976, les "râleuses" avaient été mieux accueillies. "Ce qui nous a énormément servi, raconte Eliane Boéri, c’est qu’on était des belles filles. Ma sœur, surtout, était très jolie." Alors, difficile de les taxer de "mal baisées", ce que leur joie de vivre aurait d’ailleurs démenti sans conteste. Il y avait Eva Darlan (assez vite appelée par le cinéma) ; Chantal Pelletier (qui, après le premier spectacle, a choisi de se consacrer à l’écriture) ; puis Emilie Marceau, venue remplacer Chantal, et qui vient de disparaître brutalement. Et puis, il y avait Martine Boéri, sœur cadette d’Eliane, sa compagne de scène depuis les débuts à Nice, sa complice, dont la mort à 40 ans a laissé un vide jamais comblé.
Les deux sœurs sont "montées" à Paris parce que c’est là qu’on peut travailler, déjà fortes d’une expérience de la scène de plusieurs années. Elles s’amusent énormément à monter ce spectacle de copines. Peu de femmes à l’époque, pénètrent sur le terrain de l’humour ; on rit abondamment des belles-mères, mais pas des maris (sauf cocus). La pionnière du rire Anne-Marie Carrière leur offre son chaleureux soutien. Le succès sera une heureuse surprise… avant de devenir encombrant.
Après dix ans (et deux spectacles), elles aspirent à "se débarrasser" des Jeanne. Un ami leur souffle une solution : solliciter un texte d’un auteur contemporain. Tilly leur écrit "La maison des Jeanne et de la culture". "Ça n’a pas marché, se souvient Eliane. Le public des Jeanne n’a pas compris, et le public de Tilly n’est pas venu." Risqué de se débarrasser d’une image et de sortir des "cases" ! Enfin, le but a été atteint : les Jeanne, c’est fini.
Eliane Boéri n’abandonne bien sûr pas la scène pour autant. Elle joue, fait des mises en scène, aide des jeunes à monter des spectacles. Puis à la fin des années 1990, elle écrit "Le déjeuner de Jeanne" sur les relations mère-fille, issu de son expérience personnelle. Le spectacle tourne bien, et c’est à cette occasion qu’elle rencontre un public qui n’a pas oublié les Jeanne et souhaite les retrouver. "Cela faisait dix ans que ma sœur était morte, je pouvais le faire."

Comédiennes sans influence


Donc, Eliane Boéri, sélectionne, avec Chantal Pelletier, des sketches dans les deux spectacles du trio et réalise un nouveau montage. "Pas un mot n’a été ajouté ! précise-t-elle. Tout y était déjà, même l’allusion au voile.".
Elle s’assure le concours de deux jeunes comédiennes. Venues de la danse, Marthe-Hélène Raulin et Bénédicte Charpiat mettent leur sincérité, leur dynamisme et leur talent dans une entreprise difficile : servir l’esprit des Jeanne, tout en se l’appropriant et y apportant leur touche.
Eliane Boéri se réserve la mise en scène, mais n’a pas l’intention de jouer. Elle se trouve "trop vieille" : "J’avais peur que la scène de l’amant qui ne pense qu’à baiser, à mon âge, ça paraisse un peu… Mais des amis m’ont convaincue. Pourquoi pas ? Même les vieilles ont une vie sexuelle !" Elle a bien fait de ne pas se refuser ce plaisir ("J’adore jouer !") : le mélange des générations ajoute au spectacle et en renforce l’intemporalité.
Mais les "vieux copains" ne partagent pas son enthousiasme, aucun théâtre parisien ne s’ouvre. Qu’à cela ne tienne : les nouvelles Jeanne partent en tournée "en province". A leur retour à Paris, un an plus tard, elles louent le Théâtre de Ménilmontant. "C’est un théâtre peu connu perdu dans un quartier excentré, mais le public vient !" Un public qu’elles aiment, de gens qui vont très rarement au théâtre, beaucoup de gens du quartier, car le lieu maintient depuis sa création une politique du théâtre populaire. "On fait ce qu’on veut, ici, c’est l’idéal. Des petites mémés du quartier nous ont demandé d’organiser une matinée, on a pu le faire."
La proximité et le bon accueil du public les console de la défection des critiques. Il y a bien eu un article dans Le Monde – "assassin". "Ils n’avaient jamais parlé de nous avant, s’étonne Eliane Boéri. Et maintenant, ils nous consacrent un quart de page avec photo pour nous démolir ! C’est bizarre, non ?" Si. Alors qu’est-ce qui gêne, dans les Jeanne ? Qu’elles persistent et signent sans se soucier des modes ? Bon. Ça ne les empêchera pas de suivre leur bonne femme de chemin. A l’issue des réprésentations parisiennes, elles reprendront leurs baluchons pour une nouvelle tournée.
Que des jeunes apprécient le spectacle et s’y reconnaissent a beaucoup touché Eliane Boéri, qui attendait ce verdict avec un intérêt particulier. Donner un coup de pouce aux nouveaux venus est une de ses activités qui lui tient à cœur. "J’aimerais animer des ateliers avec des nanas des banlieues. Elles ont énormément de choses à dire, et j’aimerais les y aider - à ma façon."

Jusqu’au 24 avril au Théâtre de Ménilmontant
15, rue du Retrait – 75020 Paris
Location au 0 820 800 400 ou au théâtre : 01 46 36 98 60

P.-S.

Dominique Foufelle - février 2004

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