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Femmes rurales en mouvement en Afrique du sud par Sizane Ngubane

dimanche 29 février 2004, par Sylvie

Engluées dans un système coutumier qui leur retire tout droit, de propriété comme d’activité, les femmes rurales d’Afrique du Sud se retrouvent confrontées à mener de front plusieurs combats : celui de l’égalité et celui de la pauvreté. Cette lutte quotidienne commence à porter ses fruits, même si des obstacles institutionnels restent à surmonter.

L’Afra (Association for Rural Advancement), implantée en Afrique du Sud, s’occupe de la défense des droits des paysans. Elle est à la tête de cinq programmes : récupération des terres, cartographie des terres, identification des moyens de subsistance durables, gestion des ressources, et « société civile ». Le mouvement des femmes rurales (Rwm) intègre ce dernier projet créé en juillet 1998. Son but est de tisser des liens entre les organisations de femmes rurales, afin de faciliter l’établissement d’un mouvement pour représenter et promouvoir les sujets les concernant spécifiquement à savoir le droit à la terre, des droits indépendants, les lois coutumières de succession, la prise de décision… Pour presque tous les membres de Rwm, la terre est un moyen de réduire la pauvreté en générant des revenus pouvant payer l’éducation des enfants. En effet, les usages de la terre sont très variés : culture (pour la subsistance et le revenu généré), pâture, infrastructures (routes, eau, électricité), résidence, culture d’herbe pour le chaume, celle pour les nattes, etc.
Reste que le plus difficile pour les Africaines du sud aujourd’hui est d’accéder à la terre en tant que femme, source de l’ensemble de leurs difficultés. Elles n’ont en effet pas de droit indépendant à la terre, celui-ci revenant à leur époux. Dans une ferme, si le mari a un différend avec le propriétaire, par exemple dans un bar le week-end, et qu’il se fait renvoyer, la femme et les enfants sont renvoyés aussi. Les femmes ne sont pas reconnues comme des métayères indépendantes. Si le mari meurt dans une ferme, le propriétaire donne douze mois pour déménager, sans se soucier de la durée depuis laquelle la femme travaillait là.

Les lois coutumières de succession

Les lois de succession donnent toujours des droits inégaux entre les descendants hommes et femmes. La fille n’a pas le droit d’hériter parce qu’il est entendu que quand elle se mariera, elle aura accès à la terre par son époux et elle prendra les biens de sa famille pour les donner à celle de son mari.
Le Rwm sait que la constitution garantit le droit des femmes, mais en pratique, elle ne s’applique pas dans les zones rurales. La constitution n’a rien fait pour protéger les femmes des effets de la discrimination des lois coutumières. Les tribunaux continuent à dire que « la loi et la coutume noires » s’appliquent à toutes les lois du mariage traditionnel avant 2000, c’est-à-dire que les hommes héritent de tout. En 1998, lors du cas de Mme Mthembu, même la Cour d’appel a renforcé l’héritage masculin. Ce système est aussi soutenu par les magistrats et par les cours coutumières. Les veuves et les filles perdent ainsi leurs maisons à la mort de leur mari ou père, même si de fait, c’étaient elles qui la géraient.

Les femmes dans la prise de décision

Qui travaille la terre et qui prend les décisions ? On estime que plus de 80% de toute l’agriculture en Afrique est produite par des femmes. Alors qu’elles ont un rôle prépondérant dans les cultures alimentaires et leur transformation, leur contribution demeure invisible et la valeur de leur travail n’est pas reconnue. La participation des femmes dans le processus de réforme n’est pas égale non plus à celle des hommes. Il n’est pas facile pour des femmes rurales d’avoir accès aux prises de décisions politiques. De nombreuses entités et comités légaux, qui ont été créés pour la restitution et la redistribution des terres, sont encore dominés par les hommes. Même lorsque les femmes ont accès aux terres de leur mari, elles ne participent pas aux décisions. Dans l’une des communautés avec laquelle le Rwn travaille, il y a une femme dont les plantes ont été déracinées par son mari parce qu’il voulait qu’elle plante des pommes de terre pour qu’il puisse les vendre à ses voisins, à la place de ce qu’elle avait planté pour sa cuisine. Le revenu qu’il a obtenu a été dépensé principalement en liqueur et autres futilités, et pas pour les besoins de la famille.
Dans la plupart des processus d’organisation, les structures communautaires ne prennent pas en considération la question de l’égalité des sexes. Le rôle des femmes dans l’établissement et l’organisation des projets est vraiment minime. En novembre 1999 le Rwn a organisé un atelier sur « Femme et Terre » auquel 250 femmes rurales ont participé, la majorité représentant les organisations basées dans les provinces. Lors du discours d’ouverture de cet atelier, une membre de la commission sur l’égalité entre les sexes a clairement décrit les difficultés rencontrées par les femmes rurales. Elle a mis en lumière le manque de consultation, malgré les connaissances des femmes sur la propriété. Le désintérêt pour l’expérience des femmes a été cité comme un sujet de préoccupation majeur, qui doit être corrigé. Elle a précisé aussi que les femmes ne constituent pas un groupe homogène et qu’il fallait prendre des précautions : de quels droits parle-t-on lorsque l’on se réfère au droit des femmes à la terre ? De quelle terre ? Est-ce une ferme, une terre tribale ou une terre urbaine ? Elle a insisté sur le fait qu’il y a des sujets critiques qui nécessitent d’être résolu par des politiques pour lesquelles des hommes et des femmes apporteraient différents éclairages selon chacun des contextes.

Culture et coutumes

Le Rwm considère que les revendications culturelles et familiales sont le premier obstacle à l’établissement des droits des femmes. Depuis les dernières décennies, dans de nombreuses régions, les droits humains des femmes – leur liberté personnelle et leurs libertés fondamentales – sont constamment niés. La raison la plus souvent invoquée de ce déni des droits humains de la moitié de la population est la préservation de la culture et de la famille.
De plus, à cause de la législation héritée de la colonisation, de l’apartheid, des lois racistes qui existent toujours, des abus des « lois coutumières » et de l’état chaotique de l’administration de la terre, les femmes rurales souffrent toujours de sévères discriminations au regard des droits de propriété et des droits à la terre. Dans la plupart des régions rurales, les femmes ne peuvent pas disposer des terres car pour obtenir une terre, les femmes doivent venir avec un membre masculin de leur famille, un frère ou un fils, par exemple. La terre est attribuée aux hommes et les épouses n’en partagent pas la propriété. Ainsi, les femmes perdent tout quand le mariage est rompu, y compris la maison pour laquelle elles ont tellement contribué pendant toutes les années de leur mariage. Il y a de nombreux cas de femmes qui ont été chassées de la maison par la famille de leur mari après sa mort, particulièrement lorsque la femme n’a pas de fils. Les filles non mariées qui vivent à la maison sont chassées par les frères lorsque les parents meurent, même si elles ont été celles qui ont soutenu la maison, se sont occupées des parents âgés et des enfants. Il existe des cas où les parents choisissent les filles pour hériter de la maison, mais les fils réussissent à les évincer, simplement en faisant référence à la « loi coutumière ». Cela cause de grandes souffrances, crée la pauvreté des femmes, les prive de leur dignité, leur dénie tout droit à l’égalité. Les femmes qui n’ont pas de sécurité foncière sont vulnérables à la violence et aux abus.
De ce fait, le défi pour la communauté sud-africaine, y compris le gouvernement, les citoyen-nes à titre individuel, ou les Ongs, est de reconnaître que la protection des droits des femmes, à l’intérieur de la famille comme à l’intérieur de la société, ne menace pas la vie familiale ni l’intégrité culturelle. Rwm affirme que la vie familiale et la société sont au contraire renforcées quand le respect de tous les membres de la famille est entièrement acquis. De plus, une culture forte n’est pas statique. Les cultures qui se maintiennent sont celles qui ont la capacité d’incorporer le changement et de s’y adapter.

Les projets créateurs de revenus

Différents groupes sont impliqués dans les activités suivantes : confection, ferme à très petite échelle, caisse de crédit, usage des ressources naturelles (comme l’argile, l’herbe et le bois pour l’artisanat). Néanmoins, dans les zones rurales, les femmes manquent de connaissances, d’informations et n’ont pas conscience de leurs droits. Sans l’aide des Ongs, la plupart des organisations de femmes ne sauraient pas ce qui se passe ailleurs. Elles sont généralement très isolées et n’ont pas ou très peu de liens avec les zones urbaines. Le Rwn travaille avec des femmes qui ne sont jamais sorties de la ferme où elles sont nées. Elles ne peuvent même pas aller au village toutes seules. Il y a un sérieux manque de compétences dans des domaines comme l’économie ou le commerce de base, l’illettrisme est très important et le niveau d’éducation très bas : si l’on doit choisir qui ira à l’école, ce sera le garçon. Les femmes n’ont souvent pas accès aux technologies de la communication. Elles n’ont pas la capacité de prendre des contacts et de s’informer.
Aussi, les revenus provenant des activités économiques de petites tailles sont maigres. Les initiatives n’augmentent pas et le marché pour vendre la production est limité. Trouver des consommateurs et organiser la vente des produits sont les principaux problèmes. Les organisations de femmes n’ont pas beaucoup de gens à qui vendre leurs productions, particulièrement dans les régions rurales profondes. Elles sont très isolées, éloignées des consommateurs et des ressources. De ce fait, elles sont vulnérables à l’exploitation et à la dépossession. Les intermédiaires locaux achètent les productions à très bas prix et les vendent à l’étranger en réalisant de gros profits.

Développement des produits

Le marché local est saturé. Les gens font tous le même type de production. Ils n’ont pas conscience du marché et du circuit auxquels ils appartiennent. Les groupes de femmes ne savent pas ce qui peut être vendu ou non. La notion de société de consommation leur est étrangère. Les producteurs ne réfléchissent pas en fonction du marché, de l’innovation et de la demande.
Rwm a des problèmes pour obtenir du capital. En fait, la plupart des projets ont trouvé un système de financement par hasard. Les groupes sont habitués à l’idée de travailler ensemble en tant que groupe, ils apprennent entre eux, entre communautés. Beaucoup d’organisations n’ont pas de connaissances suffisantes à propos de la recherche de fonds. Certaines d’entre elles ne sont jamais entrées dans une banque ou dans une ville auparavant. Mais elles apprennent très vite et s’adaptent aux nouveaux systèmes.
Aussi la mobilisation de la base et le développement du travail en réseaux entre les femmes rurales constituent les pierres angulaires de toute transformation. C’est le seul moyen efficace pour développer la confiance, diffuser l’information et lever le silence qui couvre ces sujets et les relègue dans la sphère des problèmes familiaux privés. Ce n’est en effet qu’au niveau des réseaux de communautés que les femmes peuvent fournir aux autres le support pratique qui est nécessaire pour leur permettre de soutenir leur cause devant la loi et de défier les pratiques discriminatoires.

Stratégies développées

Les actions que les femmes ont déjà développées concernent la lutte contre les lois discriminatoires. Il s’agit de bâtir la confiance et le soutien mutuel. Pour cela, elles assurent des bourses aux orphelins et aux enfants pauvres. Elles font face aux procureurs et aux magistrats qui refusent de traiter des cas d’abus et de dépossession. Elles prennent des contacts avec les différents départements du gouvernement (santé, terre, social, justice) pour savoir comment répertorier les mariages coutumiers, soutenir le droit à la succession pour les enfants soi-disant illégitimes et ceux des mariages polygames.
Pour que cela se fasse, les groupes de femmes ont besoin de ressources pour voyager entre les districts et si possible entre les provinces, et plus généralement, pour revitaliser le processus d’interaction et de soutien mutuel entre les groupes du mouvement. Un grand travail a déjà été fait sur les problèmes que rencontrent les femmes dans leurs relations aux lois sur l’héritage, à la terre et au droit de propriété, à leur participation aux prises de décisions politiques. Cependant, ce travail est limité par le manque de budget. Les groupes affiliés à Rwm tireraient un grand bénéfice des liens avec d’autres groupes.
Il existe actuellement une opportunité qu’il faut renforcer, étendre le réseau et les organisations des femmes rurales. Sans un réseau fort et un soutien mutuel entre les femmes, le problème actuel des femmes rurales ne peut être efficacement abordé.

P.-S.

Sizane Ngubane
traduit de l’anglais par Sylvie Lefebvre

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