Accueil du site > Ressources > Guatémala : un scrutin plein de surprises

Guatémala : un scrutin plein de surprises

samedi 31 janvier 2004, par Dominique Foufelle

L’issue des élections présidentielles du 9 novembre dernier au Guatémala est inattendue. La première surprise, c’est l’éviction, d’entrée de jeu, de l’ex-dictateur Efrain Rios Montt. Déterminé à se présenter, il avait orchestré des émeutes les 24 et 25 juillet dernier dans la capitale. Des émeutes suffisamment virulentes pour impressionner les Cours de justice du pays et les inciter à passer outre l’inconstitutionnalité de sa candidature. La deuxième bonne surprise, c’est la participation des femmes au scrutin.

On est passé, au "Guaté", d’une étude d’août 2002 montrant que les femmes ont peur de voter et pensent que "la politique est une affaire d’hommes", surtout dans les régions les plus reculées, à leur présence massive lors du vote en novembre 2003. La troisième bonne surprise, c’est que les hommes politiques ont prêté l’oreille aux revendications des femmes. Ce qui n’est pas une surprise, en revanche, c’est que ce résultat est le fruit du travail d’organisations de femmes…

Le vote, l’arme des femmes Guatémaltèques


C’est au son de "Las mujeres guardaremos un secreto : el voto. No habrà càmaras, no habrà guardias ni mirones. Nadie sabrà por quien votaste. Tu voto es secreto. Vota consciente" de la campagne "Nosotras, las mujeres" (Nous, les femmes), que des militantes ont battu les routes du pays avant les élections. Comme le reporte la presse nationale, "un grupo de mujeres conscientes de la historia y del papel cumplido por Rios Montt, como dictator entre 1982 y 1983, se lanzo’ a las calles para realizar acciones relampago para sensibilizar a la poblacion". Le but ? la "capacitacion", le terme qui revient si souvent dans la bouche des militants des droits humains. Soit, la formation des femmes au droit de vote. Elles représentent 51 % de la population guatémaltèque et 42% des votants. Un pouvoir non négligeable dont elles viennent de se rendre compte. Très impliquée dans cette campagne, l’association de Mujeres Mayas Mojol a également rédigé un "agenda minimal de la femme Maya", visant à sensibiliser les femmes Mayas au vote. Appuyée par de nombreuses associations, l’agenda entend provoquer des changements structurels pour les Mayas en général. Mais ce scrutin semble bel et bien avoir réveillé le mouvement des femmes : une autre initiative vise à établir le dialogue entre les partis politiques et les femmes candidates, le "foro documentacion y participacion ciudadina" (Forum de l’information et de la participation citoyenne), qui exige des quotas au sein de la loi électorale sur les partis politiques.
Pendant de l’action de terrain pour convaincre les électrices à user de leur droit de vote, l’agenda politique "Mujeres en la diversidad" (Femmes dans la diversité) montre enfin la capacité d’organisation des femmes Guatémaltèques. Le document liste clairement les priorités pour le mouvement des femmes : garantir la pérennité, l’autonomie et la neutralité politique du secrétariat présidentiel de la femme, mettre en œuvre, avec des fonds publics, la politique nationale de promotion et de développement des femmes Guatémaltèques et le plan sur l’équité des chances, lutter contre les discriminations (notamment raciales, qui s’ajoutent au sexisme), promouvoir la démocratie au sein des partis politiques, établir des programmes institutionnels dédiés à la santé des femmes, entre autres. Entre les deux tours, les deux candidats à la présidentielle, se sont engagés à en tenir compte lors de leur mandat.

Questions existentielles


Le paradoxe des revendications féministes et des droits humains au Guatémala, c’est que les femmes ont porté le combat pour les droits humains, puisqu’elles constituent la majeure partie des familles des disparus, à l’origine des plaintes déposées. Mais qu’elles ont dû- et doivent encore - imposer leur place dans la thématique des droits humains.
Fort présent pendant le conflit et lors des négociations de paix, le mouvement des femmes au Guatémala se renforce, se structure et s’organise. Au risque de devoir affronter aujourd’hui des questions de sens déstabilisantes. "La guerre a ouvert des espaces de participation politique pour les femmes, qui n’existaient pas avant. Sans le conflit, certains accès resteraient hors de portée des femmes. Au moment des accords de paix, la société civile a reconnu, pour la première fois, la nécessité d’avoir une négociation incluant les femmes. C’est-à-dire, que les femmes devaient négocier au même titre que les autres", explique Yolanda Aquina, anthropologue, figure du mouvement féministe guatémaltèque. Les accords de paix sont ce qu’ils sont : le fruit d’une négociation. Mais ils ont abouti, entre autres, à la création du "foro de la mujer" (forum de la femme), qui est un espace paritaire entre la société civile et l’Etat, dont le but est de faire avancer les accords de paix. "En revanche, l’application de la partie des accords de paix concernant les droits des femmes est largement restée lettre morte : l’accès à la propriété de la terre, la loi sur les abus et le harcèlement sexuel, etc…" résume l’universitaire.
A partir des années 1994, certains groupes de femmes ont donc commencé à s’assumer comme des acteurs sociaux et politiques à part entière. "Elles se sont mises à conceptualiser leur participation. Elles ne se présentaient plus comme les proches des victimes, ou des femmes indigènes victimes, mais comme des femmes, avec leurs revendications propres", raconte Yolanda. Puis, à partir des années 1998-2000, l’objectif principal fut d’avoir la capacité d’avoir une incidence sur l’agenda politique de l’Etat, afin qu’il réponde aux questions des femmes. "On a donc dédié beaucoup de temps à travailler sur les lois et les négociations avec l’Etat. Mais on n’a pas eu assez de temps pour réfléchir sur notre condition de femme : à savoir, sur la condition de subordination de la femme Guatémaltèque et on n’a pas eu le temps de se construire en tant que sujet politique au-delà de l’influence étatique. Cette logique a achoppé à partir de l’an 2000 : en dépit du travail législatif, la condition des femmes ne change pas au Guatémala", reprend l’anthropologue.
Quelques groupes de femmes ont alors commencé à s’affirmer féministes, à la capitale. Pour initier un débat entre la politique et les femmes. "Il fallait réfléchir à la finalité du mouvement social des femmes. Certaines femmes se sont donc mises à réfléchir sur le rôle que les femmes devraient jouer dans le mouvement social. Le mouvement de femmes est important, mais peu se disent féministes. Tout le paradoxe, c’est qu’en tant que femmes, nous sommes présentes dans tous les espaces. Mais on n’est pas pris au sérieux quand on y aborde la question du droit des femmes. Donc, d’un côté, on nous reproche de ne pas investir les espaces de participation, mais de l’autre, on reste stigmatisées et ghettoisées. Mon hypothèse, c’est que les hommes sont en ce moment en train de s’investir dans la construction d’institutions démocratiques pour le pays. Les femmes, elles, en sont encore à se chercher, à se construire en tant que sujet politique et à construire l’identité politique du mouvement social féminin. Or, sans cette identité, le mouvement des femmes n’est rien. Il ne peut agir en protagoniste et apporter des propositions qui lui sont propres", expose Yolanda. Pour qui la partie la plus importante du travail reste la guérison des plaies. Soit, le travail avec les femmes victimes du conflit : "On doit inscrire tout ce qui a trait au conflit sur l’agenda politique du gouvernement. De sorte à obtenir des politiques publiques adéquates", conclut-elle.

Lever le tabou des violences sexuelles liées au conflit civil


La tâche est rude. Elle vise, ni plus, ni moins, qu’à bouleverser les mentalités d’un pays fondamentalement machiste. "L’impunité fait partie de la vie quotidienne du Guatémala, où les rapports entre les personnes sont empreints d’une grande violence. Parler des violences sexuelles subies par les femmes pendant le conflit revient à mettre en cause d’une part, les rapports qu’elles entretiennent avec leurs compagnons, souvent violents, et, d’autre part, le comportement des militaires. Par ailleurs, les familles des victimes se montrent peu sensibles au thème. Dans certaines zones, les groupes travaillant sur la santé mentale des femmes victimes de violences sexuelles sont considérés comme des groupes subversifs. Dans le meilleur des cas, les hommes ne comprennent pas la nécessité d’avoir des groupes non-mixtes. Mais cela peut aller jusqu’à des stratégies de terreur et culpabilisation dignes du conflit…", constate Amandine Fulchiron, chargée de projet à Consejeria en Proyectos.
La jeune française co-organise, avec Yolanda Aquino, un vaste projet portant sur les violences spécifiques dont les femmes ont été victimes pendant la guerre civile (projet "de victimas de violencia a actoras de cambio"). Trois grandes organisations de femmes (Mama Maquin, organisation de base, Ixqiq et Unambre, composées d’ex-combattante de l’UNRG, fraction de la guérilla) se sont en effet réunies autour d’un triple projet. PCS (Project counselling service - ou Consejeria en proyectos) est chargé de la recherche de fonds : soit, un million de dollars.
Programmée sur trois ans, l’initiative prévoit tout d’abord un travail sur la santé mentale des femmes victimes de violences sexuelles pendant le conflit. Puis, un travail juridique de longue haleine, visant notamment à identifier les cas susceptibles de former une plainte collective devant la Cour interaméricaine des droits de l’Homme, afin de contraindre l’instance à se prononcer sur les crimes de guerre contre les femmes. Le troisième axe porte enfin sur la récupération de la mémoire historique. Il vise à rédiger un ouvrage avec les femmes, racontant leurs vies propres. Le groupe pense également à la réalisation d’une vidéo et d’une pièce de théâtre jouées et réalisées par les femmes elles-mêmes. Il n’en reste pas moins que tout ceci exige un accompagnement fort, tant la répression sociale à l’égard des femmes qui parlent de leur vécu est prégnante. "On travaille donc sur la définition d’un système de protection : avoir des personnes qui vivent dans les communautés, avec les femmes impliquées. Comme ce fut le cas lors du retour des réfugiés et déplacés, qui ont bénéficié du soutien de "témoins internationaux" ", explique Amandine Fulchiron.
Pour le moment, le vent est favorable aux femmes : les premières promesses du néo-président concerne l’application des accords de paix, la lutte contre l’impunité, la corruption et la délinquance. Il n’en reste pas moins que sa coalition gouvernementale tient à un accord bien fragile. Et que, sur 158 députés du Congrès législatif, seule une quinzaine sont des femmes.

P.-S.

Stéphanie Marseille – janvier 2004

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0