Les communautés littorales de l’Afrique du Sud exploitent depuis longtemps les ressources de la mer (poissons, coquillages, crustacés, langoustes) pour gagner leur vie. On estime que 30 000 personnes pratiquent une pêche de subsistance ou artisanale et qu’environ 30 000 autres occupent des emplois saisonniers dans l’industrie de la pêche. L’Afrique du Sud exporte près de 40% de sa production vers des pays du Nord. La pêche est ici une activité commerciale tout à fait rentable.
Dans la plupart des communautés, les hommes vont en mer tandis que les femmes se chargent de confectionner ou réparer des filets, de préparer l’appât, de transformer et de vendre le poisson. Dans certains endroits de la côte, les femmes ramassent des moules et autres coquillages parmi les rochers. Dans les ateliers et usines de la Côte occidentale de la province du Cap, la main-d’œuvre saisonnière est essentiellement féminine. Depuis quelque temps, elles sont de plus en plus présentes dans l’administration et la représentation des associations de pêcheurs de la Côte ouest, où trois associations au moins sont d’ailleurs présidées par une femme. Là, elles jouent un rôle essentiel pour aider les pêcheurs à faire leurs demandes de permis et de quotas et à faire diverses démarches auprès de la Direction de la gestion de l’espace maritime et côtier (MCM) qui est chargée des affaires de pêche.
Le secteur de la pêche a été fortement marqué par les lois et pratiques discriminatoires pendant le régime de l’apartheid imposé par les Blancs. Les Noirs ne pouvaient pas obtenir de quotas en leur nom propre : ils devaient travailler pour un patron pêcheur Blanc ou un armement Blanc. Ces armements prospéraient, et petit à petit les plus importants absorbaient des entreprises de moindre taille et étendaient leur emprise. Quelques grosses sociétés ont finalement dominé la filière. Par ailleurs, un certain nombre de dispositions (loi pour contrôler l’entrée des Noirs dans les zones blanches, emplois réservés, loi sur la ségrégation de l’espace selon les groupes raciaux…) rendait encore plus difficile l’accès des Noirs aux ressources halieutiques.
Après l’installation du premier gouvernement démocratique de l’Afrique du Sud en 1994, on a commencé à essayer de transformer la filière pêche en adoptant des politiques visant à assurer un accès équitable aux ressources marines. Pendant ce temps, les grosses entreprises exerçaient de fortes pressions pour ne pas perdre leur mainmise sur la filière.
Puis le système des quotas individuels transférables (QIT) est arrivé. La chose n’était pas entièrement nouvelle, mais il s’agissait ici de permettre à des gens issus de communautés jusque-là défavorisées de pouvoir déposer des demandes de quotas de pêche. D’autres mesures ont été prises, notamment pour encourager les entreprises à modifier leurs politiques de recrutement afin d’offrir plus de chances aux Noirs et aux femmes. Le nouveau système prétendait attribuer les quotas à des entreprises de tailles diverses et ainsi faire en sorte qu’un certain nombre de « nouveaux venus » puissent lancer leur propre entreprise. Or, malgré ces dispositions, des communautés et des gens qui ont pratiqué la pêche toute leur vie ont été laissés de côté et n’ont pu obtenir un accès équitable aux ressources halieutiques. Il y a plusieurs raisons à cela.
La corruption
Ce n’est pas une chose inconnue dans la filière. Des gens qui ont un certain poids utilisent leurs relations pour faire en sorte que leurs amis ou des membres de leur famille obtiennent des quotas. Des attributions ont été faites selon des critères politiques, à la tête du client. Parmi les groupes « raciaux », telle ou telle communauté, tel ou tel responsable obtenait satisfaction, d’autres pas. Par la suite, en 2000, le gouvernement a essayé d’introduire un système d’attribution plus équitable. Mais les gens restaient très méfiants, d’autant plus que beaucoup de personnes qui n’avaient jamais auparavant eu une activité de pêche devenaient bénéficiaires de quotas, alors que de vrais pêcheurs, qui pêchaient depuis toujours, qui vivaient de cela, voyaient leur accès à la ressource se réduire. Des procédures coûteuses - Le coût et la complexité de la procédure de demande de quotas constituent un gros problème pour les communautés. Les critères utilisés par les décideurs pour la répartition des quotas posent également problème.
Comme les quotas ont une grande valeur, beaucoup de nouveaux venus ont vendu le leur à des entreprises de pêche. C’est ainsi qu’elles ont pu accroître leur influence et leur contrôle sur le secteur, même lorsqu’elles sont de l’étranger. Les pêcheurs traditionnels ne sont pas prioritaires - Le gouvernement a décidé que, pour certaines espèces de poissons et de crustacés, les quotas seront attribués uniquement aux sociétés commerciales les plus importantes et non pas à des groupes qui pratiquent une petite pêche de subsistance et qui voient ainsi la matière première leur échapper.
Les conséquences de la mondialisation
Aux pressions exercées sur l’Afrique du Sud par certains partenaires commerciaux, des pays du Nord notamment, parmi lesquels les membres de l’Union européenne, se sont ajoutées les politiques publiques actuelles tournées vers l’exportation. Tout cela a pesé sur les décisions lors des attributions de quotas, en principe pour encourager les investissements dans la filière. Ces choix ne sont pas sans conséquences sur les revenus des pêcheurs locaux et sur leur sécurité alimentaire.
Comme leur accès à la ressource se réduit, les communautés de pêcheurs sont confrontées à une crise sociale et économique. Des pêcheurs qui avaient été très actifs restent maintenant à la maison. Il arrive aussi que les quotas disponibles sont si limités que les revenus des ménages sont en chute libre.
Pour survivre au jour le jour, certains font alors du braconnage, prennent du poisson sans licence ni quota, poussés évidemment par les gros sous qu’on peut obtenir avec des espèces protégées. Il arrive aussi que des gens pêchent illégalement et échangent leurs captures contre de la drogue. De puissants cartels de la drogue utilisent le commerce juteux des produits de la mer haut de gamme pour se financer. Dans les communautés qui s’adonnent au braconnage, les problèmes de drogue et de gangstérisme se multiplient La grande pauvreté, le gangstérisme et la drogue donnent lieu également à de nombreux cas de viols, d’abus sexuels, de trafic de femmes et d’enfants.
Pour les communautés qui ne s’adonnent pas au braconnage, l’avenir économique est bien précaire. Comme les revenus sont saisonniers, les ménages ont beaucoup de mal à payer leur loyer. L’insécurité alimentaire et la pauvreté s’étendent. Les communautés de pêcheurs sont relativement exclues du développement économique de leur région. Elles ont exprimé leur frustration face au manque d’information sur les possibilités de développement économique adapté, comment profiter du marché touristique par exemple.