Le dévoilement des femmes est un phénomène qui, au début du XXe siècle, s’est diffusé depuis l’aristocratie vers les couches inférieures de la pyramide sociale. Et voici maintenant que le "revoilement", depuis la fin du XXe siècle, se diffuse depuis les catégories les plus défavorisées, se généralise dans les classes moyennes et est en passe de pénétrer jusqu’à la haute bourgeoise. Les prémices de cette "remontée" ont coïncidé avec le réveil de l’islamisme, qui a d’abord embrigadé les femmes les plus dépourvues de droits. Mais la pensée islamiste a rapidement débordé de son cadre initial, celui des mouvements politiques, dépassant son premier rayon d’action pour désormais toucher les classes les plus privilégiées et les femmes les moins dépourvues de droits. Le voile frappe même à la porte des stars de cinéma et des présentatrices de télévision, c’est-à-dire de ces femmes qui montrent leur visage à tous, dont l’image est diffusée dans chaque foyer. Il lui manque encore deux ou trois petites raisons de passer la dernière frontière, de toucher le dernier carré des résistantes : les premières dames, les hauts responsables de l’Etat ou certaines femmes intouchables pour une raison ou pour une autre.
Le voile contre la séduction ?
Le voile est-il une obligation religieuse ou une simple interprétation idéologique ? Est-il une application stricte du principe religieux selon lequel il protège du trouble susceptible de naître dans le regard des hommes ? Ou bien un simple bout de tissu qu’on se met sur la tête et dont la propriétaire pourra aisément se débarrasser au prix d’un peu d’audace ? Les deux thèses réclament examen.
En fait, le voile islamique actuel n’est ni une matérialisation de l’idée selon laquelle il faut prévenir le risque que les hommes soient éblouis par les charmes féminins, ni un simple bout de tissu, tant il est chargé de symboles très profonds. Il suffit pour s’en rendre compte d’aller sur l’un de ces "marchés au voile" où des commerces florissants proposent différents modèles de voiles islamiques, accompagnés de tous les accessoires et petits détails qui y sont attachés. Vous remarquerez, en vous y promenant, à quel point tous ces accessoires sont attirants. Et vous vous apercevrez que certaines femmes voilées sont très séduisantes. Manifestement, leur sortie leur a demandé un soin extrême pour parvenir à un tel niveau de charme et de séduction, visant à attirer les regards masculins (chacune selon son milieu, sa culture, ses moyens). A-t-on besoin d’une meilleure preuve de la vivacité de la féminité, de sa capacité à inventer de nouvelles formes de perdition pour les regards masculins, après que le voile s’est imposé précisément pour la limiter ?
Des raisons historiques du revoilement
Le hidjab n’est pas nécessairement synonyme de bonnes mœurs. Mais il reste à définir la cause première de cette décision de prendre le voile chez les femmes. Il est vrai que les cas de port subi et généralisé sont toujours accompagnés de la formule toute faite : "C’est la volonté de Dieu". Mais ce lien rapidement établi entre la volonté divine et le voile ne parvient pas tout à fait à neutraliser l’événement qui a déclenché ce désir de le revêtir.
Car ce désir est souvent lié à un événement : scandale ou échec. Cet événement initial rencontre sur son chemin une "boule de neige" sociale, qui conduit la femme à conclure que le port du voile est la réponse idoine à cet événement. Il y a à ce propos un consensus tout à fait exceptionnel, qui n’a d’équivalent dans sa popularité que la haine de l’Amérique. Chaque fois que se multiplient les raisons de haïr l’Occident, les rangs des femmes voilées grossissent. C’est ce qui explique que la communauté qui reprend le voile le plus rapidement est celle des musulmanes qui ont émigré à l’étranger et qui expriment ainsi un attachement identitaire.
L’arabisation des publicités orientales
Mais il n’y a pas que des femmes voilées dans le paysage. S’il en était ainsi, celui-ci ne resterait pas longtemps en l’état. Car ces yeux mâles qui exigent de la femme une protection maximale contre la tentation doivent, pour continuer à l’exiger, trouver un refuge, un lieu où assouvir leur soif du désir. Et cette soif ne peut être étanchée que par la nudité, ou la quasi-nudité, liée à ce que l’on qualifiera de vulgarité ou de débauche.
C’est ainsi qu’est née dans le monde arabe la culture des vidéo-clips et des publicités étrangères, c’est-à-dire les espaces de transgression maximale du corps féminin dans la culture occidentale. Ils sont devenus chez nous la référence de toute débauche. Vidéo-clips et publicités ont donc été imités et arabisés, avec beaucoup de soin et d’application. Ce n’est pas un hasard si les seuls programmes qui rencontrent un grand succès en Egypte pendant le mois de ramadan appartiennent à deux catégories apparemment antinomiques : les prêches du jeune cheikh Amr Khaled appelant les téléspectatrices à porter le voile et les talk-shows quasi libertins où des stars se donnent en spectacle en répondant à des questions osées. Les deux genres traitent en fait de la séduction et de la tentation sexuelle.
Le voile une stratégie de réhabilitation de la tentation sexuelle
Le voile n’est pas nécessairement synonyme de bonnes moeurs dans une société où la moralité s’effondre plus rapidement que ne l’avaient prévu les prêcheurs. Sa diffusion à l’échelle que nous connaissons actuellement exige la présence de la vulgarité, de la débauche, de la quasi-nudité, pour réveiller sans cesse la flamme de sa nécessité.
L’importation au Caire d’"artistes" libanaises, top models, reines de beauté ou accompagnatrices de ces dernières, pour occuper l’espace des artistes égyptiennes plongées jusqu’au cou dans la mode du délire dévotionnel (pieuses, voilées, repentantes, elles s’interdisent même désormais de représenter un baiser à l’écran), tout cela montre la présence de deux pôles opposés qui parviennent néanmoins à coexister parfaitement : d’un côté, le voile, la pudeur, la pruderie ; et, de l’autre, le dévoilement, le dévergondage, la vulgarité et la damnation.