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Les Rroms en Europe : cadre juridique et contexte politique

dimanche 30 novembre 2003, par Dominique Foufelle

La question de la citoyenneté européenne des Rroms fait parfois l’objet de discussions, mais à l’état actuel des choses, elle ne peut être traitée séparément de l’adhésion des pays dont ils sont citoyens à l’Union européenne. En effet, l’Union européenne reste une organisation regroupant des Etats, et non pas des peuples en tant que tels, du moins pour l’instant.

Il n’en reste pas moins que même dans cet état des choses, la citoyenneté des Rroms pose problème. Elle pose problème déjà dans le cadre des Etats dans lesquels ils vivent, problème qui s’accentue d’autant dans un cadre plus large, européen, où plus ou moins, tout le monde se cherche. Souvent exclus de la vie économique, sociale et politique de leurs pays respectifs, les Rroms sont des citoyens de seconde zone, alors qu’ils représentent une population estimée à 10 – 12 millions d’habitants dans l’ensemble de l’Europe. La discrimination dont ils sont objet prend des formes de plus en plus diverses et élaborées, qu’il est parfois difficile de cerner. Ce qu’on voit, en revanche, ce sont les conséquences, qui à leur tour en produisent d’autres, parfois en d’autres lieux et qui risquent d’accaparer toute l’attention, laissant les causes profondes de certains phénomènes subsister. Une illustration de ce processus est l’exemple des Rroms de Roumanie qui se trouvent actuellement en France.

Entre " situation régulière " et " situation irrégulière "


Sans qu’il soit besoin de rappeler que les qualificatifs des deux expressions sont de pures considérations subjectives et susceptibles de se modifier dans le temps, disons simplement qu’un Rrom de Roumanie, comme tout citoyen roumain entré dans l’espace Schengen depuis moins de 3 mois, est en situation régulière. La suppression de l’obligation de visa, contrairement aux prophéties apocalyptiques de certains milieux, n’a pas causé de flux massif de Rroms vers l’espace Schengen. Selon des sources diverses, et donc, fiables, le nombre des Rroms roumains en France serait entre 4000 et 5000 personnes, autant dire rien par rapport aux environ 2 millions de Rroms de Roumanie. La plupart se trouvent en France depuis des années, bien avant que l’obligation de visa soit supprimée. Ayant vu leurs demandes d’asile rejetées au nom de la sacro-sainte notion de "pays sûr", ils se retrouvent en situation irrégulière. Présents sur le territoire depuis 12 ans parfois, ils ne peuvent en faire la preuve car ils ont été contraints à vivre dans des bidonvilles où ni le facteur, ni le releveur des compteurs EDF n’a à passer. Tout en vivant dans ces conditions exécrables, ils font preuve d’un fort désir d’intégration et essaient malgré tout de scolariser leurs enfants, mais leurs efforts se heurtent dans la plupart des cas au refus des autorités locales.
A cela s’ajoute, depuis les dernières élections, une attitude ouvertement hostile de la part des autorités. La nouvelle loi sur la sécurité intérieure, dite loi Sarkozy, vise directement les Rroms, citoyens français comme étrangers, en instituant une nouvelle infraction : l’occupation sans droit ni titre de terrains. Ajoutons à cela ce qu’il convient d’appeler "le délit de pauvreté", c’est-à-dire que, sauf à avoir dans sa poche 500 Euros et un passeport tamponné dans une frontière Schengen à une date récente (de moins de trois mois), tout Rrom est expulsable, et le tour est joué. Certes, on ne pourrait pas dire que cela ne vaut que pour les Rroms, mais il est plus facile à un policier de distinguer dans la foule un tsigane plutôt qu’un roumain. On commence par une interpellation pour délit de mendicité, et quand on se rend compte que la personne n’a sur elle que 130 Euros, on demande l’expulsion parce qu’elle ne remplit pas les conditions de séjour selon la Convention de Schengen. Or, la justification de ressources suffisantes, n’est-elle pas plutôt une condition d’entrée plutôt qu’une condition de séjour ? Et, finalement, combien d’argent un touriste japonais ou américain garde-t-il sur lui pour visiter Paris ?

L’alternative à la violence


La violence policière contre les Rroms de Roumanie est une réalité quotidienne. Elle va des intimidations sur les terrains aux expulsions musclées, mobilisant des centaines de policiers et de gendarmes, en passant par la casse d’instruments de ceux qui essaient de survivre en jouant de la musique dans le métro parisien. Mais que voulez-vous, il faut bien convaincre ces gens là qu’ils doivent rentrer "chez eux". La méthode douce n’a pas marché, alors… Et la méthode douce était la mission de Romani CRISS, une ONG de Bucarest, commanditée par le Ministère de l’Intérieur et l’Office des Migrations Internationales. Elle n’a pas réussi, mais on s’y attendait. Aucune garantie n’a pu être offerte par les Bucarestois à leurs compatriotes. Et l’enjeu est de taille : les rapatriés risquent des sanctions pénales et administratives dans leur pays d’origine. Seulement 5 personnes ont accepté le retour volontaire, avec en prime 153 euros par adulte et la moitié par enfant, alors même qu’on leur a bien fait comprendre l’alternative : c’était ça ou alors l’expulsion. Il y a là de quoi se mettre à réfléchir sur la condition de ces personnes en Roumanie. Ils vivent en France dans des caravanes délabrées, dans la boue, au milieu des ordures qui ne sont enlevées que de façon exceptionnelle, et pourtant, cette situation est préférable à celle qui serait la leur en Roumanie. On les entend souvent dire : "ici, même quand je tends la main dans le métro, on me dit "monsieur", alors qu’en Roumanie je ne suis qu’un tsigane".
Il y a donc beaucoup à faire, tant ici qu’ailleurs. La politique actuelle, pas plus que celle du milieu des années 90, n’est pas la solution. Des mesures concrètes devraient être prises pour permettre aux Rroms de vivre dignement, où qu’ils se trouvent : en France ou ailleurs. Seul l’engagement vers cette voie résoudrait d’une façon juste et durable la question de la "migration irrégulière", car elle permettrait un véritable choix. Entre une exclusion totale de l’accès aux droits les plus fondamentaux, tel que l’emploi, la santé et l’éducation, d’une part, et l’exil, qui reste un déchirement quelles que soient ses circonstances, d’autre part, c’est ce que Renaud a chanté "choisir entre deux galères celle où tu bouffes". Beaucoup de Rroms en situation de détresse en France ont choisi de rester car elle est moindre que la détresse en Roumanie. Ne serait-il pas plus humain d’éliminer ce qui cause ces deux détresses, au lieu de les rendre égales, voire de chercher à faire en sorte qu’ils se sentent plus mal ici qu’en Roumanie, afin qu’ils partent ? Finalement, à qui bénéficierait ce départ ? Aux Rroms ? Certainement pas. A la Roumanie ? Elle n’a pas su les garder, et pour ne citer qu’un cas, un enfant qui jouait dans le métro il y a deux ans est maintenant parmi les meilleurs élèves du Conservatoire de Paris. Ou peut-être au déficit de la sécurité sociale en France ? Si on régularisait leur situation, ils cotiseraient volontiers. Aux villages abandonnées un peu partout en Union européenne ? Beaucoup d’entre eux seraient heureux de s’y installer et de les faire revivre grâce à leur travail. A la sécurité intérieure ? C’est la conseillère juridique de M. Sarkozy elle-même qui a reconnu lors d’un entretien avec les ONG de soutien aux Rroms que ceux-ci représentaient des taux de délinquance très faibles par rapport aux autres tranches de population.
Alors, certes, il n’y a aucun mal à renvoyer des Roumains en Roumanie. Certes, encore, ce qui se passera avec les rapatriés relève de la responsabilité des autorités roumaines (interview de M. Sarkozy après l’évacuation du terrain de l’Ile Saint Denis : " Je vous rappelle que je ne suis pas le ministre de l’Intérieur roumain "). Il n’empêche qu’il est de la responsabilité de chacun, et a fortiori, des politiques, d’anticiper l’avenir. Et nous parlons là de l’avenir proche : en 2007, la Roumanie sera dans l’Union européenne, et les enfants qu’on expulse aujourd’hui en les privant d’une éducation dans les écoles françaises sont les citoyens européens de demain.

P.-S.

Saimir Mile, Centre AVER de Recherche et d’Action sur toutes les formes de Racisme - novembre 2003

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