Les Burkinabé ont fini par s’habituer à sa silhouette massive. Elle hante tous les forums ; elle est de tous les combats où la dignité de la femme est bafouée. A 65 ans, Mme Ouédraogo s’est découvert un nouveau terrain de chasse : la traque des exciseuses inter-Etats. A l’entendre, ce serait une espèce en forte croissance, tenace et déterminée. "Elles viennent sous prétexte de vendre des marchandises et à la lisière des frontières, elles excisent nos filles. Quelques-unes sont arrêtées mais la majorité retourne tranquillement chez elles", raconte-t-elle. "Je suis attristée de savoir que des exciseuses burkinabé aussi vendent leurs services dans la sous-région ouest africaine". Propos d’activiste révoltée ? Il semble que non.
En 1999 déjà, la très sérieuse Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) tirait la sonnette d’alarme : "…Constatant avec amertume le phénomène migratoire des exciseuses dans l’espace Uemoa… Constatant que l’éradication de ce fléau dans des délais raisonnables nécessite une synergie d’action au triple plan : national, sous-régional et régional… réaffirmons la détermination du comité interafricain d’œuvrer avec les autres partenaires, Ongs et associations pour l’éradication complète des mutilations génitales féminines (Mgf) d’ici l’an 2010." Trois ans après cette déclaration solennelle, les somouni (ndlr : exciseuses en langues dioula et bwaba) continuent d’exercer dans la clandestinité ou ouvertement dans les pays qui n’ont toujours pas de loi interdisant les mutilations sexuelles sur leur territoire. Et ils sont nombreux : sur les 16 états ouest-africains, seuls cinq (le Togo, le Sénégal, la Guinée-Conakry, le Burkina Faso et l’état nigérian de Oyo), ont adopté des lois anti-excision.
Peu d’arrestations
Ces somouni sans frontières sont généralement commerçantes (une couverture commode pour voyager) et souvent âgées. Officiellement, elles ont rangé lames et couteaux pour d’autres activités rémunératrices. Quelques-unes ont même reçu des financements d’associations, comme celle de Mme Ouédraogo, mais faute de suivi, elles continuent d’exciser discrètement. Ayant appris le métier de leur mère, elles comptent initier leurs filles. Ces voyageuses sont réfractaires aux messages de sensibilisation diffusés dans leurs pays. Pour elles, exciser c’est assurer "la pureté, la virginité des filles et la fidélité des épouses". D’où leur détermination à perpétuer la tradition. "Se sentant surveillées dans leur pays, elles offrent leurs services au Ghana, Mali, Bénin, Nigeria…, des pays qui n’ont toujours pas de législation en matière d’excision", explique Mme Lamizana Mariam, ministre burkinabé de l’Action sociale et présidente de Voix de Femmes, une association de lutte contre les violences faites aux femmes.
Les arrestations sont jugées insignifiantes par rapport au flux migratoire des somouni, surtout pendant les vacances scolaires, entre juillet et septembre. Une période doublement propice aux excisions : les enfants sont à la maison et selon une conception traditionnelle les plaies cicatriseraient plus vite en saison pluvieuse.
Les Ongs anti-excision, ayant déjà fort à faire avec les exciseuses locales, avouent leur impuissance à lutter contre les migrantes. "Il n’est pas toujours facile de suivre leurs mouvements car elles évitent les grandes villes. Avec notre ligne SOS excision, nous recevons en moyenne 30 appels par mois. Nous savons que des exciseuses étrangères viennent régulièrement dans des villages de la région de Ouahigouya, ville frontalière du Mali", révèle Mme Bassolet Félicité, secrétaire permanente du Comité national de lutte contre la pratique de l’excision (Cnple), du Burkina. "Notre patrouille a pu arrêter quelques exciseuses maliennes et ghanéennes dans le Mouhoun, à Tuy et dans la Léraba (ndlr : à l’ouest du pays)", poursuit-elle. Au Mali, la situation est différente comme en témoigne Mme Fatoumata Siré Diakité, présidente de l’Association malienne pour le Progrès et la Défense des Droits des Femmes (Apdf) : " Il n’y a pas encore au Mali de loi interdisant la pratique de l’excision. Mais les gens commencent à prendre peur. Ce sont les exciseuses du Burkina qui émigrent vers le Mali dans les zones frontalières pour pratiquer les Mgf sur les enfants maliens pour la simple raison que la pratique est interdite dans leur pays ".
A la demande des familles
Les somounis excisent beaucoup, mais parlent peu. Quand elles s’expriment, c’est pour soutenir, non sans raison, que la population ne les aide pas à se reconvertir. Malgré la criminalisation de l’excision, des parents continuent de leur envoyer leurs filles. Dès qu’ils sont informés de la présence des exciseuses dans une zone, ils les contactent. "J’ai arrêté d’exciser il y a 14 ans. Mais la sollicitation était tellement forte que j’ai recommencé", raconte Awa Konaté, arrêtée au Burkina, en mai dernier, pour avoir excisé 36 filles en 3 jours.
Le Burkina, qui s’est lancé très tôt dans la lutte contre l’excision, dispose d’un impressionnant arsenal répressif. Dès novembre 1996, l’Assemblée nationale adoptait une loi punissant sévèrement l’exciseuse, les parents et toute personne complice. Pourtant la prévalence de l’excision au Burkina est encore d’environ 66 %. Pour Mme Ouédraogo un changement radical passe par l’adoption par tous les pays d’Afrique de l’Ouest d’une loi commune contre les Mgf. Et sceptique, elle ajoute : "Eradiquer l’excision d’ici 2010 ? On peut toujours rêver".
Cet article est offert par l’agence Syfia