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"Question du voile" : une réponse globale

vendredi 31 octobre 2003, par Emmanuelle Piron

La première affaire du voile islamique date de 1989. Depuis, l’école publique n’a pas cessé d’être traversée par le débat entre ceux qui refusent la mise en cause du caractère laïque de l’école publique et ceux qui n’acceptent pas qu’une partie de la jeunesse issue de l’immigration soit exclue de l’école publique parce qu’elle porte le voile.

Aujourd’hui encore le débat ressurgit, médiatisé à outrance, devenant en fait un débat de société : appels, pétitions, déclarations d’hommes et de femmes politiques se multiplient avec en arrière plan l’affaire du foulard porté par deux jeunes adolescentes du lycée Henri Wallon d’Aubervilliers. Nous devons tous nous prononcer, on nous force à prendre parti, pour ou contre une loi qui interdise le port de tout signe religieux à l’école, et pour ou contre l’exclusion de l’école des jeunes filles qui portent le voile islamique.
Ce problème bien complexe et délicat, où beaucoup d’éléments doivent être pris en compte pour analyser la situation, ne peut pourtant pas se résumer à une position pour ou contre.

Que représente le voile ?

Le voile est avant tout l’expression d’une religion, il a une signification bien particulière : c’est d’exiger de la femme qu’elle se cache, qu’elle masque son corps, afin de ne pas être un objet de tentation pour l’homme. Le port du voile s’accompagne souvent de celui de robes longues, de collants épais, de teintes des vêtements sombres et de l’interdiction faite aux filles de sortir, de pratiquer un sport. Il ne s’agit pas d’un simple attribut vestimentaire, mais d’un symbole de l’oppression de la femme, de sa négation en tant qu’individu à part entière. Le port du voile n’est qu’une partie du processus d’enfermement des femmes…et de leur sexe. Le débat lancé sur la remise en cause de la mixité est là pour illustrer les tentatives de ceux qui veulent enfermer les sexes : les femmes entre elles, les hommes entre eux.
Toutes les religions inculquent la soumission de la femme et la supériorité de l’homme. La religion catholique elle aussi dans les Ecritures a décrété que la femme était inférieure, impure, porteuse de la faute originelle et reléguée au rang de reproductrice.
Aujourd’hui le pape intervient dans la vie publique et politique comme un chef d’Etat voulant imposer ses interdits : le divorce, l’avortement, la contraception, le préservatif qui sont tous des atteintes à la liberté des femmes.
C’est pour cette raison que nous sommes contre l’influence religieuse dans l’école, nous sommes résolument pour une école authentiquement laïque. Une école qui lutte contre les inégalités sociales, une école qui n’encourage pas la domination de la femme, une école qui offre à tous les enfants les mêmes possibilités de progresser et de se former quelles que soient leurs origines sociales et nationales, quel que soit leur sexe, quelles que soient leurs croyances.

Mais l’école publique a t-elle aujourd’hui les moyens pour faire convenablement ce travail ?
Hélas non, nous assistons à une entreprise de destruction du système d’enseignement national. Le mouvement social de mai-juin dernier fut là pour nous le rappeler. Pendant plusieurs semaines des milliers de personnels de l’Education Nationale ont manifesté dans les rues de tout le pays pour dénoncer le démantèlement de l’école publique, pour dénoncer l’école à deux vitesses que la décentralisation cherche à imposer, contre les valeurs marchandes, et pour défendre des valeurs de solidarité et d’égalité.
La polémique sur le voile islamique permettra-t-elle à l’école d’obtenir les moyens dont elle a besoin ? Permettra-t-elle de faire barrage aux disparités qui s’amplifient ? Rien n’est moins sûr.
Or ce sont précisément les inégalités qui se multiplient, le chômage qui jette des familles entières dans le désespoir, le racisme qui touche la population issue de l’immigration, qui sont exploités par les milieux intégristes dans les quartiers populaires. Les organisations islamistes sont très actives dans ces quartiers. Elles savent utiliser la misère économique et sociale pour recruter et s’implanter.

Le retour en force du fait religieux dans la société

Pour cela elles ont été aidées par le pouvoir. Les élus n’ont pas soutenu celles et ceux qui avaient des projets laïques, ils ont préféré laisser la place aux associations noyautées par des islamistes pour canaliser les jeunes des quartiers populaires. Rappelons-nous que Sarkozy avait lancé un appel aux imams du pays pour calmer les esprits des jeunes des banlieues au moment de la guerre contre l’Irak.
Aujourd’hui, en contrepartie de la paix sociale, la discussion est ouverte au niveau local avec ceux qui voudraient obtenir des financements publics pour les activités culturelles et sociales des lieux de culte. Ceci se passe dans un contexte où les associations des quartiers qui ont des projets laïques pour prendre en charge le « traitement social » de la misère, enregistrent quant à elles le gel de leur budget (voir Egalité N°38).
Que comprendre quand les politiques utilisent notre argent, l’argent du contribuable pour venir en aide aux porteurs des idées religieuses voir intégristes ?
Lancer les discussions autour du voile aujourd’hui est aussi une occasion de procurer à l’opinion publique de quoi s’occuper à fin de faire passer le plus dangereux en douce, le retour en force du fait religieux.
Nous assistons à la légitimité des milieux islamistes organisés dans le Conseil National des Musulmans.
Nous assistons aussi à une offensive des milieux catholiques extrémistes qui ont introduit le débat sur la mixité dans les écoles et qui essayent de faire passer la référence religieuse dans la constitution européenne. Cette dernière tentative n’est-elle pas une remise en cause de la séparation entre l’Eglise et l’Etat ?

Le retour en force de la religion en pleine crise prend d’abord pour cible les femmes


Il est lourd de menaces pour nous toutes. Parallèlement à cela, les images de femmes nues sur les panneaux publicitaires se multiplient en toute impunité, la prostitution explose et la pornographie s’étale. Dans tous les cas la femme est réduite à un simple objet sexuel qui suscite le désir. Selon le cas, il faut cacher son corps ou il faut l’exhiber.
Mais ces tentatives de cantonner chacun dans sa « communauté », chacun dans sa « croyance », sont aussi lourdes de menaces pour tous, hommes et femmes, car elles visent à détruire les solidarités, à semer les divisions. C’est ainsi que le pouvoir politique s’économise le débat sur l’oppression économique car les personnes encadrées par les institutions religieuses n’ont pas la conscience d’appartenir d’abord à un « camp social », ils se placent avant tout dans leur camp « communautaire » ou « religieux ».

Le retour en force des religions sert à diviser les plus faibles


Reconnaître un fait religieux coûte moins cher que de reconnaître aux populations issues de l’immigration des droits, à la réussite scolaire, au travail, à une place entière dans la société et occulte la question du fait colonial et néocolonial et ses conséquences dramatiques, exil, pauvreté, pillage en toute impunité, guerres…etc. Or ce fait a poussé des milliers de personnes à s’expatrier et à devenir des immigrés loin de chez eux.
Le gouvernement Raffarin Sarkozy joue sur tous les tableaux. D’une part, il tend des ponts d’or au fait religieux, d’autre part il menace les jeunes filles d’exclusion, sachant qu’ainsi il alimente les tensions communautaires, qu’il divise ceux qui ont lutté ensemble pour défendre l’école publique, pour défendre notre système de retraites. Ils ont besoin d’avoir les mains libres pour leur politique réactionnaire et de régression sociale. Si la confusion autour du fait religieux peut les y aider, ils l’utiliseront.
Soyons conscientes du fait que le débat sur le « voile à l’école » s’inscrit dans cette logique.

Une nouvelle loi sur le port de signes religieux à l’école va-t-elle désamorcer le processus ?


Ne faudrait-il pas consacrer davantage nos forces à mettre en lumière le retour des idées religieuses qui menacent nos droits, à réclamer les moyens qui sont nécessaires à l’école publique, à réclamer des subventions pour les associations qui bâtissent des projets laïques, à exiger pour tous, femmes et hommes, jeunes ou moins jeunes, français ou immigrés le droit d’avoir une vraie place dans la société ?
Comme nous le disions au début de cet article, la réponse au problème soulevé par « le port du voile à l’école », ne peut pas se cantonner à une position pour ou contre. Ce problème ne peut pas être réglé par une nouvelle loi qui, qu’on le veuille ou non, va montrer du doigt une partie de la population à exclure. A notre avis la réponse à ce problème ne peut être que globale, de lutte et d’explication sur plusieurs fronts.
Notre Coordination Egalité y participe avec son action et sa réflexion et continuera à y participer avec détermination.

P.-S.

Comité National de la Coordination des groupes de femmes Egalité
20 octobre 2003

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