Accueil du site > Dossiers > Sous dossiers > Lucy en lutte pour l’autonomie des femmes

Argentine

Lucy en lutte pour l’autonomie des femmes

samedi 31 mai 2003, par Josefina Gamboa

Lucy Grimalt est une militante, féministe, argentine. Sa lutte a lieu dans la ville de Paraná, province de Entre Ríos, coin largement frappé par la crise comme tant d’autres. Lucy est une des responsables du programme municipal de la Femme. Son combat est de former des formatrices, de multiplier les résultats de l’accompagnement aux victimes des violences, mais surtout de promouvoir l’autonomie, par la réfléxion sur les droits et par l’entreprenariat solidaire.

Travailler et éduquer sur les droits réproductifs et sexuels n’est pas évident dans un pays machiste de tradition catholique, où l’avortement est toujours illégal. Mais Lucy et ses collègues ont obtenu le soutien du Maire, toujours en cachette, dans le dos de l’évêque, qui serait loin de l’accepter. "Nous avons réussi à partir d’un triste épisode de violence domestique ; un travailleur a tué sa femme en la frappant 20 jours après l’accouchement de leur enfant, et cela a enfin sensibilisé les autorités".
Si le programme ne permet de rémunérer que trois employées, la crise a éveillé la solidarité et aujourd’hui elles comptent sur des volontaires de disciplines diverses : enseignantes, sexologues, communicatrices et psychologues sociales, ingénieures en hygiène et sécurité du travail, avocates, entre autres. "En 3 ans, nous avons fait que féministe ne soit plus un gros mot associé à des lesbiennes qui haïssent les hommes, et que ce mot soit interpreté à partir du travail que nous faisons."

Former des formatrices, adapter les solutions


Mais… par où commencer ? "Il fallait le faire par la prise de conscience sur les droits, former les femmes pour qu’elles sachent dénoncer les cas de violence dans les centres de santé."
Au début, sans l’appui des autorités municipales, l’axe du travail a été la prévention de la violence, à partir de la formation de promotrices communautaires, c’est à dire, préparant pour l’autonomie. "L’objectif est avivar gilas (réveiller les connes)", rigole Lucy. Ainsi, décrit-elle le début de sa tâche dans les droits humains et les questions de genre. "Nous avons créé des groupes, lesquels une fois formés, ont pu mener aussi leurs propres actions et ainsi, obtenir un effet multiplicateur. Le groupe pour la prévention de la grossesse adolescente a réussi, par exemple, a enregistrer six spots publicitaires transmis gratuitement par la radio local. Ce sont elles, seules, qui ont rédigé les textes, choisi la musique, c’était leurs voix…", raconte Lucy, fière. D’autres, ont commencé à animer des ateliers de genre et sexualité.
Mais quand la pauvreté frappe, il faut trouver des stratégies différentes, qui puissent motiver à la participation dans des activités et, en passant, sensibiliser sur les droits. "Une initiative qui a marché était Folles par le foot, où le sport et la réflexion sur le genre ont été combinés. Elles mêmes ont ainsi réussi à créer une ligue, une coupe, onze équipes de quartier, et à obtenir des dons pour les maillots, les prix… elles sont conscientes de la reconnaissance et fières d’avoir créé un espace propre, où il y a aussi la place pour la réflexion… et cela est un succès peu conventionnel", sourit Lucy.

Faire face aux violences légitimées


Mais un des thèmes endémiques en Amérique Latine est la corruption et le déficit moral institutionel généralisés, qui gangrènent tous les secteurs. En ce qui concerne la violence de genre, un des secteurs délicats est celui de la police. Dans les pays extrêmement machistes, quand les femmes vont dénoncer, cela est considéré comme exposition et non dénonciation.
"En Argentine il est très difficile de savoir comment agir avec la police. Les policiers violent souvent leurs propres femmes en les menaçant avec des armes. C’est leur travail qui les conduit à exalter l’omnipuissance que représente le fait de traiter avec la mort au quotidien", regrette Lucy. Et il semblerait que travailler aux côtés de la mort, marque une tendance. A Paraná, les groupes de travailleurs les plus violents dans leur vie conjugale sont, dans l’ordre, les employés publics, les employés de nettoyage des cimetières, les policiers, et enfin, les medecins de thérapie intensive. "Ainsi, qu’on parle au nom des femmes ne sert à rien : elles doivent prendre conscience collectivement."

Chercher des nouvelles leaders, multiplier les résultats


Une autre proposition ambitieuse a été la formation de leaders de quartier ou paralégales, dont le rôle est d’accompagner les victimes de violence pour procéder à la dénonciation, les informer sur la loi, les conduire à un centre de santé et à la consultation psychologique, bref, leur indiquer des ressources souvent inconnues d’elles.
Ces leaders ont aussi pour mission de parcourir les écoles et églises à la recherche de leaders potentielles, des femmes qui seraient déjà engagées dans une activité communautaire et qui ont un discours de qualité, ou tout simplement, des battantes. Ainsi, 23 paralégales et psycholégales ont été formées. Deux d’entre elles ont pû assister au Forum Social Mundial de Porto Alegre en janvier dernier. Après quelques années d’expérience, elles ont rencontré des paralégales de sept départements du Brésil afin d’échanger sur les réussites et les échecs de leur travail.

Initiatives solidaires


Lucy déborde d’énergie, d’hyperactivité, de confiance dans la capacité des femmes. Mais un des problèmes qui limitent ses ambitions est le manque de budget. "La misère engendre plus de misère", affirme Lucy lorsqu’elle critique le plan lancé par le gouvernement interimaire post-crise, appelé Chefs de foyer, un programme, selon elle, individualiste et d’assistanat.
En conséquence, des initiatives économiques solidaires sont nées, dans l’espoir malgré plein d’obstacles, par besoin et avec son soutien. Manos a la obra s’est lancé dans la production de confitures maison et sauce tomate. Les travailleuses ont été formées sur le genre, en même temps qu’elles absorbaient leurs premières notions de comptabilité et d’administration.
Mais l’Argentine de la crise réservait des surprises amères à ces groupes. La seule usine de couvercles venait de faire faillite quelques mois auparavant, et l’essor de monnaies départementales ne permettait pas leur acquisition dans d’autres villes. Cela ne devait pas nous étonner, lorsqu’on sait qu’en Argentine il n’y a plus d’ampoules fabriquées depuis la délocalisation de Siemens.
"Il y a des groupes qui se sont formés spontanément et qui n’ont pas prospéré à cause des individualismes. L’objectif est la subsistance, la survie, pouvoir par exemple, payer l’électricité", continue Lucy. Au problème de l’individualisme succède celui de l’organisation. "Le manque de connaissance sur la commercialisation était un point important, et la présentation des produits est fondamental, ainsi que celle des vendeuses. Notre societé est cruelle, si l’on va vendre et que notre sourire n’a pas de dents, l’achat devient plus difficile…"
Mais pour Lucy la perte culturelle est tragique. Les femmes plus vulnérables sont fragilisées et la crise, dans beaucoup de cas, les a laissé paralysées. En plus, la tradition et la mémoire générationnelle sont en péril. "Dix ans de Menemisme (ex-président 1989-1999) ont créé des mauvaises habitudes, nous ont fait vivre dans une irréalité. Aujourd’hui nous avons créé un groupe solidaire qui lave des couches en tissu. On ne peut plus penser à utiliser des couches jetables. Mais même les techniques de transformation d’aliments et d’organisation ont été perdues pendant cette période de confort illusoire", s’énerve-t-elle.

Multiplier les résistances


Pour Lucy Grimalt, participer au Forum Social Mundial, avec deux camarades, a été une opportunité unique, inoubliable. "C’est l’occasion d’écouter et d’échanger, mais ça risque de devenir une réunion d’experts." Lucy critique les plénières de célébrités altermondialistes, sans place disponible pour des actrices de la base, lorsqu’elle pense à ses collègues, qui ont voyagé 24 h en bus, avec beaucoup d’effort pour y arriver.
"Dans chaque rencontre féministe, 65% des participantes est systématiquement rénouvelé. Pour les débutantes, il y a toujours un impact, car il s’agit d’événements mobilisateurs. Il est important pour que les jeunes s’engagent politiquement, pour qu’ils et elles comprennent qu’autrement, les décisions seront toujours prises par les autres. Le FSM doit demeurer une usine d’espoir qui permette de voir les résistances ailleurs. Cet air régénère et donne envie de continuer. Après, chaque lutte s’adapte à son contexte et prend une forme différente."
Dans le regard de Lucy, on devine lucidité et tristesse. Comme tant d’Argentines, elle s’indigne face à la situation traversé par son pays.
"Dans les années ’70, l’Argentine a été politisée avec passion. Après, le rouleau compresseur est arrivé (la dictature). Nous ne pouvons pas accepter la dénutrition en Argentine. Il faut atteindre la Faim Zéro, comme dit Lula. On ne peut pas admettre la résignation, il faut promouvoir la passion pour la vie."
Espoir, force et envie de se battre pour ses femmes. Voici les moteurs de Lucy, une Latinoaméricaine qui n’est pas prête à se laisser faire par un modèle tyrannique et corrompu.

P.-S.

Josefina Gamboa, mai 2003

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0