Albanie, Azerbaïdjan, Moldavie et Croatie. Quatre pays qui ont connu en dix ans la fin de l’empire soviétique et de son idéologie et une succession de guerres internes. Quatre pays dont les populations restent profondément marquées par ces douloureuses expériences. Et si la Turquie n’a pas connu les mêmes affres, elle partage avec ces pays l’expérience des conflits fratricides avec les tensions qui tiraillent la population turque et la minorité kurde. Pourtant, Arzu, Hale, Natalia (HCA), Jany (DESA Dubrovnik) et Diana (IFAW) viennent porter au Forum Social Mondial le témoignage de leurs actions pour construire un monde de paix, plus juste et solidaire.
De la résolution des conflits…
La Helsinki Citizens’ Assembly (HCA) est une organisation créée en 1990 à Prague et dont l’objectif premier est de lutter pour la paix et les droits humains. Elle a des membres dans 34 pays, principalement en Europe de l’Est et dans le Caucase. En Azerbaïdjan, HCA s’est retrouvée confrontée au conflit avec l’Arménie et a développé des programmes d’accompagnement des familles de victimes de la guerre, de recherches de personnes disparues ou prises en otage… En Turquie, l’organisation s’est impliquée dans le processus de résolution pacifique du conflit entre Turcs et Kurdes. "Nous avons permis d’ouvrir un espace de dialogue entre les deux groupes" précise Hale.
En Moldavie, la situation politique est complexe et les tensions ethniques et religieuses exacerbées. Les médias en ont une grande part de responsabilité, tant ils s’appliquent à stigmatiser les communautés adverses. C’est pourquoi, "HCA Moldavie a mis en place un programme de formation à la tolérance pour les jeunes journalistes, afin de leur apprendre à ne plus se laisser entraîner dans une spirale de la haine" déclare Natalia.
Jany, quant à elle, se rappelle des douloureuses années de guerre en ex-Yougoslavie qui ont fait s’opposer, pour de simples enjeux de pouvoir, les ethnies de Dubrovnik. Elle se rappelle aussi la période qui a suivi, avec des milliers de réfugiés, principalement des femmes, qui ont débarqué en ville. "Parmi les réfugiés, il y avait des visages familiers. Les femmes que l’on croisait sur le marché, les mères de nos amis…". De cette expérience est née DESA Dubrovnik, association d’aide aux femmes victimes de la guerre, et un séminaire qui a rassemblé des organisations des différentes ethnies sur le thème "Comment préserver la paix ?".
A travers le récit de chacune, on entrevoit déjà les similitudes de leurs parcours. Et Arzu de proposer de se pencher, ensemble et sérieusement, sur ces conflits et de les comparer pour en déterminer les causes réelles. C’est en effet l’une des voies à emprunter pour désamorcer les engrenages de la haine et pour construire la paix sur les bases de la solidarité.
… à la construction de solidarités
Mais dans un contexte marqué par l’effondrement du bloc soviétique, il faut comprendre que la construction de solidarités n’est pas chose aisée. Quand Jany a décidé de créer DESA Dubrovnik, elle a éprouvé beaucoup de difficultés à rassembler des gens autour d’elle. "Dans les pays communistes, personne n’avait jamais eu à s’organiser collectivement puisque tout était pris en charge par l’Etat". Et Diana de renchérir "Vous travailliez dans une usine sans vous intéresser à ses résultats ou à ses bénéfices. Vous n’étiez pas responsables, c’était l’Etat qui l’était pour vous."
"Il faut donc d’abord apprendre aux gens, et surtout aux femmes, qu’ils peuvent décider par eux-mêmes. C’est un préalable indispensable, insiste Jenny. C’est pourquoi nous essayons dans mon ONG de fournir les connaissances nécessaires pour renforcer, du point de vue économique, les femmes, développer l’entrepreunariat privé… pour à terme renforcer les solidarités". En Croatie, comme en Turquie, différents programmes de formations ont ainsi été mis en place, programmes qui concernent la couture, la récupération de vêtements, les langues étrangères (activités liées au développement du tourisme) ou l’informatique.
Le passage du communisme au capitalisme a été vécu de manière brutale. Non sans humour, Diana témoigne du changement radical survenu en Albanie. "Du jour au lendemain, nous avons dû changer de situations politique, économique, sociale, morale… les gens ont eu beaucoup de mal à comprendre tous ces changements. En moins de deux ans, nous avons dû recréer des classes sociales que l’empire soviétique avait supprimées. A cette époque, parler de social, de social-démocratie ou de travail en coopérative revenait à s’avouer communiste…"
Avec l’économie capitaliste, de nouveaux problèmes sont apparus. En Croatie, par exemple, le chômage est monté, officiellement, à 25%. Les droits des travailleurs, et spécialement ceux des femmes, se sont dégradés. On trouve peu de syndicats dans les entreprises privées. En Albanie, les phénomènes de discriminations vis-à-vis des femmes et de harcèlement se sont accentués… sans parler du scandale du trafic d’êtres humains.
La chute du communisme a aussi eu des effets bénéfiques, notamment, en permettant l’ouverture des pays et de leurs sociétés. Au sein d’une même région, les organisations peuvent maintenant se rencontrer et échanger sur leurs pratiques. "En Albanie, nous développons des réseaux avec des organisations écologistes, de femmes… dans des pays voisins. En confrontant nos cultures, nous espérons "Faire des Balkans un meilleur endroit pour vivre"" conclut Diana.
Les espoirs du Forum social mondial
Ces cinq femmes arrivent donc à Porto Alegre, riches de leur histoire et de leurs expériences. Et tout naturellement, c’est vers la paix que convergent leurs attentes. "Je serai vraiment très heureuse si le Forum Social Mondial permettait d’éviter les bombardements en Irak en démontrant qu’une large part de la société civile est pour la paix" déclare Arzu, émue.
Elles expriment aussi leurs attentes de débats riches - "pas comme à Durban" (Sommet des Nations-Unies contre le racisme, à Durban en 2001. NDLR) précise Natalia. Elles souhaitent échanger leurs réflexions et leurs expériences avec de nombreux autres mouvements, faire des rencontres qui pourraient se concrétiser par de bons projets pour leur pays.
A condition également que les discours portés par le FSM soient entendus par tous. "Tous les thèmes développés pendant le Forum doivent être connus dans le monde. Le FSM ne peut se résumer aux images de marches bariolées véhiculées par les médias. Sinon, à quoi ça sert ?" s’enflamme Diana. Et Jany d’affirmer "Nous ne sommes pas et ne pouvons pas être nostalgiques du passé. Les jours meilleurs ne peuvent être que devant nous".