EMA (Equitable Marketing Association), groupement de producteurs basé à Calcutta, a développé un département spécifiquement consacré à l’action sociale, EKTA, à destination des plus pauvres, dont notamment les mères célibataires, des handicapé-es, des enfants. Swapna Das le dirige ; à titre bénévole, dispensant à titre professionnel des formations en informatique.
Le réseau EMA a débuté avec quelque 7 producteurs ; il en regroupe aujourd’hui 43 fonctionnant de façon autonome, plus une centaine de personnes accompagnées par EKTA - au total près de 3000 femmes, hommes et enfants concerné-es. Les artisans travaillent le cuir, les textiles, le papier mâché ; fabriquent des bougies, des encens, des instruments de musique (particulièrement prisés en Europe), des vêtements… La plupart sont organisés en coopératives, comme EMA les y encourage, et suivent le principe en vigueur en France : une personne = une voix. Ou plutôt : un homme = une voix (comme on disait encore il n’y a pas si longtemps chez nous !). Car si la famille entière participe au travail, les femmes, comme les enfants, ne sont pratiquement jamais membres officielles de la coopérative ; elles n’ont donc accès au vote ni au sein de l’entreprise ni aux réunions d’EMA, où les hommes monopolisent la représentation. Swapna Das estime impossible d’intervenir de front : " Cela pourrait se retourner contre les femmes. Tout doucement, par le dialogue, on arrive à changer les mentalités. Mais c’est difficile de convaincre les producteurs de laisser les femmes voter ! Il y a des lois favorisant l’égalité dans la province. Les femmes sont partout reconnues comme les employées les meilleures, et restent les moins payées. En Inde, un homme doit toujours être " au-dessus " d’une femme. "
Evoluer ensemble
Swapna Das et Isabelle Lecoq s’étaient déjà rencontrées l’an dernier, à l’occasion d’une étude d’impact qui réunissait partenaires du Sud et bénévoles. Swapna Das y a repris au passage le concept du bénévolat, " inconnu chez nous où les gens doivent déjà se battre pour survivre. ", et entrepris de mobiliser " des femmes issues de la classe moyenne qui s’ennuient " sur ses programmes d’éducation. Toutes les deux ont énormément apprécié le contact direct, " physique ", qui a permis de " montrer les gens derrière les produits ", un point fondamental.
Pour Swapna Das, il faut " toucher l’esprit des gens ". Impliquer le client, l’inciter à dépasser l’achat " BA " pour devenir un véritable partenaire du commerce équitable. Cela passe par une meilleure connaissance de " l’histoire des produits " et de celles et ceux qui les ont réalisés. Et cette connaissance ne peut être dispensée que par les intermédiaires, les vendeur-ses bénévoles des boutiques. Artisans du Monde a constaté un certain déficit de communication, explique Isabelle Lecoq, et contribuer à y remédier est d’ailleurs sa mission. " On distribue de l’information sur les produits, mais tous les bénévoles ne la lisent pas. Ils sont très nombreux, certains impliqués de façon ponctuelle, et il y a beaucoup à lire. " Des rencontres physiques, nettement plus motivantes que la documentation, sont prévues au programme, confirme-t-elle ; mais faire venir les producteurs coûte cher. Les photographies apportées par les " ambassades " ont déjà favorisé un rapprochement, souhaité par toutes et tous, des deux côtés.
Swapna Das relaie du sien les attentes des partenaires d’Europe. " Il n’est pas toujours facile d’informer les producteurs des zones rurales éloignées de Calcutta. Mais ceux qui vivent à proximité viennent aux réunions et la plupart se montrent intéressés. " Le commerce équitable n’exclut pas le marketing ! La production doit répondre aux souhaits de la clientèle, non seulement pour être vendue, mais pour être achetée par plaisir et/ou besoin, non par charité. Swapna Das, en partenariat avec plusieurs pays d’Europe, s’amuse de la diversité des goûts et des exigences : " Les Allemands aiment les couleurs vives, les Français les couleurs douces. Ils sont plus difficiles. Les Hollandais sont plus directifs. " Solidarmonde procure aux organisations relais des magazines nationaux, pour y observer l’évolution des tendances. " Les producteurs travaillent très volontiers pour satisfaire des demandes régionales ou spéciales, poursuit-elle. EMA leur paie les essais. "
" Certaines organisations embauchent des designers, complète Isabelle Lecoq. Ils créent des collections renouvelées. Là, il est important que les vendeur-ses connaissent bien les produits pour argumenter, car la modernité surprend des clients. Il faut expliquer qu’ils ont une vie culturelle, qu’ils restent traditionnels mais sont le fruit d’une recherche. " Expliquer que l’artisanat n’est pas figé, que les producteurs sont aussi des créateurs, avertis des enjeux du commerce équitable, pour favoriser des échanges interculturels plus profonds, et à terme, conclut Swapna Das, renforcer l’union.