Accueil du site > Dossiers > Sous dossiers > Citoyennes malades des violences

Citoyennes malades des violences

mercredi 30 avril 2003, par Dominique Foufelle

Les médias n’auront pas mené grand tapage autour de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, lundi 25 novembre 2002 ! L’Organisation Mondiale de la Santé venait pourtant de tirer la sonnette d’alarme : les violences sexuées ("justifiées" par la domination exercée par les hommes sur les femmes) se pratiquent sur toute la surface du globe ; et leurs conséquences sur la santé des victimes sont catastrophiques.

Les violences sexuées sont souvent sexuelles : viols (dans lesquels nous inclurons les mariages forcés), inceste, mutilations génitales, prostitution… Les viols provoquent des traumatismes, plus sévères encore lorsqu’ils sont pratiqués "en réunion" et/ou se répètent, des maux gynécologiques, des infertilités d’origine psychique. Les viols collectifs lors des conflits armés, une tradition séculaire, dénoncée pour la première fois à propos de la Bosnie, sont désormais officiellement reconnus comme des crimes de guerre. Mais on attend encore la mise en place de structures d’accueil pour les victimes, dont les souffrances perdurent bien après l’arrêt des combats. Ce qui ne sera pas fait tant qu’il n’y aura pas aux tables de négociations de la paix des femmes pour rappeler aux ex-belligérants des exactions qu’ils s’accordent à "oublier".
Les viols peuvent aussi entraîner des grossesses, non désirées évidemment, illégitimes sauf si le viol est conjugal, fréquemment précoces. Une grossesse représente déjà de gros risques dans les (nombreux) pays où l’offre de soins est maigre, et où des conditions de vie difficiles ont altéré l’état de santé de la future mère. Quand celle-ci sort à peine de l’enfance , quand le viol ne la fait pas considérer comme une victime mais comme une coupable indigne de soutien, les risques se multiplient. Mener malgré tout la grossesse à terme ne donne pas l’assurance d’avoir sauvé sa peau : les récentes condamnations à la lapidation de femmes enceintes des suites d’un viol dans des Etats du Nigeria ayant adopté la charia en témoignent .
Quand on n’accepte pas une grossesse, rétorquera-t-on peut-être, reste le recours à l’avortement. Hélas ! c’est précisément dans les pays où les moyens contraceptifs demeurent les moins accessibles, que l’avortement est soit interdit (ou soumis à des restrictions) soit inaccessible aussi, que ce soit pour des raisons économiques, idéologiques ou les deux conjuguées. Des milliers de femmes prennent malgré tout le risque d’un avortement clandestin… et en meurent.

Pas de santé sans liberté sexuelle


Elles auraient pu aussi mourir du sida : le virus fait de plus en plus de victimes chez les femmes. Cette réalité nous est le plus souvent assénée par les médias sans exposition de sa cause, pourtant clairement établie. La propagation du virus est favorisée par les viols , les mariages forcés de jeunes filles avec des hommes mûrs, l’obligation des relations sexuelles conjugales y compris avec un conjoint "à risques"… En Afrique, une croyance propagée par des guérisseurs fait des ravages : celle que les séropositifs sont décontaminés par un rapport sexuel avec une vierge. Tout cela résulte de la négation du droit des femmes à l’autonomie sexuelle. Quand bien même dans les régions plus particulièrement touchées, bravant le diktat des extrémistes religieux de tout poil (Vatican en tête), et dans un effort de solidarité somme toute peu coûteux des pays riches, on mettrait un terme à la pénurie de préservatifs masculins, les femmes ne disposent pas de la liberté d’en imposer l’usage, encore moins de celle de refuser un rapport non protégé. La prostitution, dont les conflits armés et les crises économiques entraînent l’expansion, pour la plus grand bonheur des réseaux de proxénétisme, achève le travail. La transmission des MST n’est pourtant pas sa seule conséquence en termes de santé. Pour résister à la violence première de l’acte sexuel subi, le corps sommé de ne rien ressentir est négligé - d’où un refoulement des symptômes qui laisse aux maladies le temps de s’installer confortablement . Y compris dans les pays où le système de santé fonctionne encore convenablement, ce mortifère réflexe de survie leur condamne l’accès aux soins. La métamorphose des proxénètes en chefs d’entreprise dans un système "réglementariste" qui menace de s’imposer en Europe, et dont les partisans affirment qu’il apporterait davantage de sécurité aux personnes prostituées, légitimerait la prostitution, la dissimulerait aux regards des "braves gens"… sans soustraire les victimes elles-mêmes à leur mal-être.
Les personnes prostituées vieilliront plus douloureusement encore que les milliers de femmes dans le monde qui après avoir des années durant servi la maisonnée et /ou l’entreprise réputée familiale d’un mari, se retrouvent sans statut, sans pension de retraite et sans soutien.

Des régressions porteuses de mort

On le voit, une discrimination, une violence, en entraînent une autre.
Ces faits sont bien connus des Etats regroupés en institutions internationales. L’Onu prescrit régulièrement de mettre un terme aux discriminations les plus flagrantes - tout en laissant libre les Etats d’appliquer ou non ses recommandations.
Il y a pire : depuis la Conférence de Pékin en 1995, les conventions internationales sur les droits des femmes ont enregistré des régressions. Les Etats-Unis accentuent leurs pressions dans ce sens. Dès son investiture, le président Bush a manifesté sa volonté de s’attaquer aux droits génésiques en coupant les fonds fédéraux aux Ong de planning familial soupçonnées de favoriser de quelque façon la pratique de l’avortement. A la dernière Conférence spéciale des Nations Unies sur les enfants, et à la réunion préparatoire à la Conférence sur la population pour l’Asie et le Pacifique (Bangkok, décembre 2002), les Etats-Unis sont intervenus pour changer des termes jugés trop permissifs comme ceux de "soins reproductifs". La prévention du sida se résume pour Bush à un slogan, "Abstinence only" (Seulement l’abstinence). Et il s’est fixé pour objectif d’exporter ce "programme" qu’il finance grassement dans son pays, et dont il est superflu d’exposer les dramatiques conséquences.
Pour faire triompher cette cause sacrée, les Etats-Unis se sont alliés au Vatican… et aux fondamentalistes musulmans ! L’Irak aussi a été invité à mener cette croisade. Au nom du respect des "cultures" et des "consciences", les droits des femmes risquent de ne plus être universels.
Ceux qui défendent la liberté des mâles à gouverner "leurs" femmes comme ils l’entendent ont-ils conscience qu’ils en subissent les effets ? En dépit des discriminations et des obstacles qu’elles engendrent, les femmes sont les principales actrices du développement, même les bailleurs de fonds le reconnaissent ; elles assurent partout le lien social, et dans de très nombreux pays la survie des familles. Une société où les femmes vont mal ne peut être qu’une société malade. La guérison du monde passe par l’abolition du système patriarcal. Mais un monde en bonne santé est-il le souhait de tous ?

Paru dans Pratiques, les cahiers de la médecine utopique, n°20, janvier 2003, numéro consacré à la santé des femmes

P.-S.

Dominique Foufelle - février 2003

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0