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Femmes, Migrations et Développement

mercredi 30 avril 2003, par Joëlle Palmieri

Dans le cadre de la rencontre thématique du 23 novembre 2002 sur les femmes, organisée par le Forum des Organisations de Solidarité Internationale issues des Migrations (Forim), Didi Bertrand, anthropologue haïtienne, dresse un état des lieux de la santé en Haïti, et en particulier du sida, avec une approche de genre.

Créée il y a 9 ans, Zanmi La Santé-Paris est la petite soeur de l’association haïtienne Zanmi Lasanté, basée dans une région rurale du Plateau Central d’Haïti. Les deux associations travaillent en complémentarité. Zanmi La Santé-Paris soutient les actions sociales, médicales et les projets de développement issus d’initiatives locales et dirigées sur le terrain par Zanmi Lasante.
Depuis 1985, avec le soutien d’associations soeurs et d’amis étrangers, Zanmi Lasante procure des soins médicaux au village où elle est basée et à plus de 60 autres villages avoisinants. Parmi ses réalisations, on compte : un hôpital, une clinique, un centre de traitement de la tuberculose désigné comme le centre de référence national pour le traitement de la tuberculose résistante (MDR) par le ministère de la Santé publique haïtien, un centre spécialisé dans le traitement des maladies des femmes, des écoles, des stations de traitement de l’eau, des petites industries locales. A la date d’aujourd’hui, Zanmi Lasante offre des soins médicaux de qualité à 300 personnes en moyenne par jour, et est actuellement le seul système de santé du milieu rural qui offre la tri-thérapie supervisée dans un pays à faibles ressources. Des patients, dans leur grande majorité, n’auraient pas les moyens de se faire traiter dans les hôpitaux ou les centres de soins publiques. Cette année, l’hôpital et la clinique ont déjà traité plus de 150.000 patients.
D’autre part, afin de mieux surveiller la santé et prévenir les maladies dans nos différents villages, des programmes de formation d’agents pour la surveillance médicale ont été mis sur pied, Projè Veye Sante ou encore Projè Sante Fan-m en sont des exemples. Des stages de formation sont aussi organisés à destination des résidents locaux pour des postes d’assistants pharmaciens, de sages femmes, d’auxiliaires médicaux etc.

Expérience de terrain

Il y a environ trois ans, Zanmi Lasante a démarré un programme de dépistage et de traitement des Infections Sexuellement Transmissibles (ISTs), auprès des femmes du milieu rural haïtien, afin d’appréhender les dynamiques de transmission de ces infections. L’objectif principal de cette étude était de recueillir des informations de base permettant d’identifier les principaux facteurs de risque et les mécanismes de contraction des ISTs auprès de ces femmes, et, à partir de ces informations, d’élaborer des méthodes ou des stratégies de prévention pouvant empêcher ou ralentir la diffusion des ISTs (y compris le sida). Bon nombre de femmes ayant participé à ce programme ont souffert de diagnostics tardifs, avec de nombreuses conséquences comme : Inflammation pelvienne, Cancer du col de l’utérus, infertilité etc. Et, grâce aux efforts du programme, la vie de nombreuses femmes a pu être sauvée.
Les résultats préliminaires de cette étude ont montré que les facteurs de risque de contraction des ISTs sont externes aux pratiques ou aux comportements sexuels des femmes. Ce sont plutôt un certain nombre de forces sociales déterminés par des facteurs sociaux, économiques et culturels ainsi que par l’inégalité de genres qui contribuent à la diffusion des ISTs.

Une mobilité sociale importante

D’une part, la paysannerie haïtienne qui compte près de 85% de la population du pays, de par son isolement et son manque d’encadrement, doit affronter divers problèmes tels que la pauvreté, la malnutrition, la précarité de l’habitat, l’insalubrité des sources d’approvisionnement en eau, l’absence de latrines etc. Et, pour faire face à ces conditions de vies déplorables, le paysan homme ou femme, jeune ou vieux a élaboré des stratégies de survie basées sur des modèles sociaux et familiaux spécifiques. Il s’agit du phénomène de « mobilité sociale » ou de migration interne/externe et de l’émergence du système de « monogamie sérielle » mis en place par la femme paysanne.
Afin de surmonter les obstacles de la vie quotidienne, le paysan n’a pas d’autres issues que de fuir la campagne soit vers les grandes villes les plus proches, soit vers la capitale ou même vers la République Dominicaine, pays voisin, à la recherche d’une vie meilleure. Ces personnes, une fois ailleurs, se contentent de tâches aléatoires, temporaires et insuffisantes pour se nourrir et d’économiser un peu d’argent en vue de payer les frais de leur voyage et d’amener quelque chose à leur famille. Dans le secteur formel du marché du travail, du fait de leur analphabétisme, d’absence de formation et de qualification, ces paysans constituent une main d’œuvre à bon marché. Dans le secteur informel, on les trouve dans les petits métiers tels que : employés de maison : « bonnes à tout faire ou garçons de cour » souvent mal rémunérés avec un salaire misérable de 300 gourdes le mois (l’équivalent de 15 euros), ils font aussi du commerce ambulant : « vente de sucreries, de boissons gazeuses », de la "cuisine des rues" sortes de petits restaurants près des chantiers de construction, des marchés etc. Les hommes se contentent aussi des petits boulots de portefaix ou d’aide à la maçonnerie surtout en République Dominicaine. Les causes de ces migrations passagères ou prolongées sont à rechercher dans la pauvreté grandissante de la paysannerie. Cette lutte pour la survie, cette tentative d’échapper à la misère, s’est revêtu d’un aspect encore plus dramatique en croisant la route du sida.

Entre pouvoir économique et domination masculine

D’autre part, les relations homme/femme caractérisées par la dépendance socio-économique, la domination, la violence et la subordination ont un impact sur la négociation de l’acte sexuel et de l’utilisation du préservatif lors des rapports sexuels à risque. Dans cette perspective, l’homme ayant "un pouvoir économique" possède du même coup un pouvoir de contamination. Ces rapports inégalitaires enlèvent à la femme toute autonomie, toute gestion des risques de contamination aux ISTs et la privent de tout moyen de protection. Ne disposant de son corps, de sa sexualité ou de sa fécondité, la femme n’arrive pas non plus à imposer l’usage du préservatif.
Il faut dire que, la vulnérabilité économique de la femme et l’absence d’une éducation adéquate propre à lui permettre de trouver du travail, l’ont conduit à l’utilisation de son corps comme un atout, pour résoudre ses problèmes et entraînent du même coup une succession de partenaires ou de relations passagères. Par ailleurs, ce système de « monogamie sérielle » mis en place par la femme constitue l’un des moyens de répondre aux difficultés socio-économiques encourues. Dans beaucoup de cas, des femmes mono-parentales doivent s’appuyer sur un homme qui pourvoit partiellement aux besoins de leur famille. La mise au monde d’un enfant lors d’une relation stable ou passagère assure une survie économique et une sécurité matérielle. La dépendance économique fait considérer la progéniture comme une source de revenu essentielle à la famille.
Ainsi, cette étude nous a fourni une meilleure appréhension du vécu de la femme rurale haïtienne, des conditions de précarité socio-économique dans lesquelles elle vit, des stratégies qu’elle met en place pour s’occuper de sa famille ou pour gérer son ménage. En somme, elle nous a permis de constater qu’il existe un lien étroit, une corrélation même entre santé et développement ou entre maladie et pauvreté.
De ce fait, les problèmes de santé en milieu rural nécessitent une prise en considération des aspects socio-économiques liés aux conditions de la femme paysanne. C’est dans cette perspective que nous avons pensé mettre sur pied un programme d’appui au développement associés à la prévention des ISTs et à la lutte contre le VIH-sida dans nos villages.
Ce programme d’appui consisterait à aider les villageois à réaliser des projets concrets de qualité qui amélioreraient leurs conditions de vies, en leur permettant de rester dans leur village. Ce serait d’une part des projets individuels d’intégration tels que : aide à l’aménagement de maison, aide à la construction de latrines, d’autre part, des projets collectifs : aide à l’approvisionnement en eau potable, aide à l’agriculture en améliorant les techniques agricoles, projet de montage d’opération de micro-crédit destinées aux femmes pouvant financer un réseau d’activités économiques (petits commerce, élevage, activités agricoles, artisanales, couture etc.).

A l’heure actuelle, nous sommes à la recherche de subventions nécessaires pour financer ces projets. Nous ne sommes pas encore au stade de la réalisation concrète, mais avec nos faibles moyens, dans un village pilote, nous avons aidé à organiser des villageois en coopérative en supervisant la formation d’un comité. Ce comité a effectué un recensement complet dans le village en question : Nombre de familles et d’enfants, nombre de terres cultivables. Enfin, les femmes de ce village se réunissent une fois par mois pour recevoir des informations sur des thèmes qui les concernent comme : l’hygiène de la maison et de l’eau, la nutrition, le planning familial, etc.

Didi Bertrand est Haïtienne, Anthropologue, Secrétaire-adjointe de la Plateforme d’Associations Franco-Haïtiennes, Vice-présidente de l’association Zanmi La Santé-Paris et chercheuse de l’association Zanmi Lasante en Haïti.

P.-S.

Didi Bertrand – 23 novembre 2002

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